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Renaud P. Gaultier

Peintures, Installations et Textes

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60 Figures, pour s'abstraire d'un trop plein de choses

60 F, comme un nom d'escadrille. 60F pour 60 Figure, signale un format de châssis entoilé, 130 par 97 centimètres pour être exact. Mais aussi pour énoncer 60 possibilités de figurations. Figurer plutôt que représenter. Il est habituel d'opposer l'abstraction à la figuration, ce que l'on retrouve dans les mathématiques, en anglais figures signifient les chiffres, ce qui nous rappelle combien nous avons traduit la réalité en nombres. Nous pourrions alors dire que nous avons chiffré ce que nous avons déchiffré du réel, depuis notre perception et tous nos appareils. Et nous continuons, jusqu'à saturer nos calculateurs de "données", pour mieux décrire, expliquer et maintenant prédire. Or rien ne nous est donné, car nous prélevons sans cesse, nous interprétons jusqu'à épuiser le sens de nos mondes, depuis nos désirs de croire, sous couvert de science, que nous exorcisons les choses de leur influence sur nos vies par l'analyse de leur matérialité symbolique. Car nous existons désormais dans l'ombre portée des nombres. Certaines cultures expliquent l'univers visible et invisible par la lettre, combinée sous forme d'un alphabet distribué en une infinité de mots. Mais l'occident a quitté les rives de l'Indus depuis longtemps et seule la digitalisation prévaut. De la photographie argentique au scanner photonique, nous archivons le monde phénoménal, nous imageons nos vies et les réifions parfois de façon compulsive, car les choses ne nous suffisent plus, il nous faut les capturer encore et encore, comme des possédés.

Comment échapper alors à ce destin de sujet devenu objet sous forme composite et multiple ? Se réapproprier les choses tout d'abord, écrire des listes comme Eco et dessiner son environnement comme Buffon ou Linné. Mais mettre à distance les choses comme un acte de contrition cognitif ne suffit plus. Nous sommes submergés. Ce trop plein de choses nous déborde et nous empêche. Une voie s'ouvre parfois sous les pas du philosophe, au terme d'un chemin qui ne mène apparemment nulle part. La peinture aussi peut délivrer du réel qui trop existe. La main sait ce que l'oeil ne veut pas voir. Prendre conscience de la non-existence et lui donner corps sans se perdre en abîmes de paradoxes tient alors à quelques formes pigmentées et agencées selon d'autres aléas, aux frontières des maîtrises anxieuses. Ne nous méprenons pas, il s'agit à chaque fois d'un aveu d'échec, mais il est tangible, marque une avancée là où la musique nous échoue dans la disparition de toute trace, dissous dans une émotion qui toujours finit. Alors oui, peindre pour figurer l'irreprésentable, la non-chose. Et s'abstraire, vraiment.

Thursday 03.31.16
Posted by Renaud GAULTIER
 

Le Faclab, une solution de transdisciplinarité ?

Le 3 mars 2016, par l'intermédiaire de Alexandra Fronville, enseignant-chercheur, Maître de Conférences à l'ESPE de Brest, mathématicienne spécialiste des modélisations de la morphogenèse et des pédagogies TICEs, je fus invité lors des assises de la pédagogie de l'UBO à assister à la présentation du FabLab universitaire nouvellement créé. L'ensemble des parties prenantes du projet était représenté et venait illustrer un parti-pris d'ouverture et de mobilisation au sein de l'UBO et au-delà. Designers de l'EESAB et plasticienne indépendante, chercheurs en sciences humaines et sciences dures, étudiants, tous se sont réunis pour dire leur volonté de décloisonnement et de créativité opérante. (http://www.univ-brest.fr/assises_pedagogie)

Pour le projet DRiFTZ, tout concorde alors, ce que confirmera l'entretien avec Yves Quéré, le chef de projet de l'UBO Open factory : transdisciplinarité, apprentissage par le projet, souhait de trouver un projet structurant et non anecdotique susceptible de s'inscrire dans une continuité d'animation. J'ai pu préciser la spécificité à mes yeux fondamentale d'un fablab universitaire et ce qui le différencie d'un fablab citoyen classique, qui tient à sa nature d'unité de formation-recherche par le projet. (http://www.univ-brest.fr/openfactory/)

Je voudrai souligner ici une évidence et des difficultés. Une évidence tout d'abord, l'implantation d'un fablab au cœur de la vie universitaire. Véritable artefact social, ce tiers-lieu permet de donner vie et corps à la transdisciplinarité, décloisonnant les unités de formation-recherche, libérant les échanges sans les contraintes statutaires ou hiérarchiques qui pèsent sur le monde académique, initiant au projet, à l'aventure humaine, à l'innovation. Des difficultés ensuite, avec la double contrainte qui pèse sur l'université, à savoir innover et accueillir les masses. Les enseignements enrichis par le numérique, MOOCs et classes inversées, devraient peut-être inclure la formation au projet par le recours régulier sinon systématique au tiers-lieu du type FacLab. Cela nécessiterait alors de changer les plans de charge, de construire de grandes usines à projets pour accueillir non pas 40 mais 1000 élèves simultanément. Là est peut-être la relance par l'innovation et la recherche : l'effet de masse par les étudiants. Les missions des enseignants-chercheurs évolueraient dans la forme et non dans le fond. La digitalisation des universités n'est pas l'adjonction de tablettes dans les amphis et de wifi dans les cafétérias, mais bien dans la transformation des pratiques pédagogiques. Vaste programme. A Brest, les universitaires en ont pris conscience, la vice-présidente chargée de la pédagogie prend part au pilotage du FabLab. Un début de solution, donc.

Au fait, à l'issue de cette réunion dans les locaux de l'UBO Open Factory, nous avons convenu de travailler ensemble pour bâtir le projet DRiFTZ : le terrain de recherche est peut-être déjà tout tracé.

Wednesday 03.09.16
Posted by Renaud GAULTIER
 

La mètis, l'art de la transformation efficace ou innover en silence

Pablo Picasso, Le combat avec le taureau, 1934

Pablo Picasso, Le combat avec le taureau, 1934

En écoutant ou en lisant François Jullien, ou encore Jean-Pierre Vernant, nous pouvons nous étonner des ponts possibles entre des rationalités grecques et chinoises, et plus encore entre des philosophies de l'agir réfléchi. Au moment ou nous sommes surexposés à des discours sur l'innovation qui ne serait que rupture, il est sage de nous reposer sur les rives de ce qui nous fait penser. Le concept de Mètis, océanide ondoyante et changeante, fille d'Océan et de Thètis, nous renvoie à la notion de projet, tel que Platon nous l'a légué, tel que notre physique galiléenne, cartésienne et newtonienne nous l'a structuré. Car Mètis déconstruit le projet, et Mètis ne traite que de situations. Ni plan, ni application pratique d'un postulat théorique, agir consiste à créer les conditions d'une exécution facile, en fonction des circonstances rencontrées. Un art de la rencontre, un situationnisme avant la lettre. Ulysse le rusé résoud L'iliade en un coup, son cheval de bois modifie le rapport de forces en faveur des Achéens. Ce qui est dehors vient au dedans, l'asymétrie est renversée, fin d'un affrontement en lignes régulières et bien ordonnées, où tout est sous contrôle. 

La Chine contemporaine ne peut plus cacher ses transformations derrière un mur de silence : tout le monde craint aujourd'hui son effondrement après avoir spéculé sur son éveil. Pas de doctrine rigide depuis la révolution culturelle, dernier avatar de l'assimilation des cultures politiques occidentales, seul l'avènement de la technique au service de la grandeur de l'empire compte désormais. Dans l'Art de la Guerre, Sun Tzu enseigne que la bataille n'est que la conclusion d'une opération longuement préparée, "pas de quoi louer le général victorieux". Un processus à bas bruit, un aménagement des conditions en sa faveur valent mieux qu'une épopée à grand fracas. Nous qui cultivons le culte des héros, du courage et du génie singulier en circonstances critiques, une culture nous enseigne que la difficulté ne fait pas le mérite et que la victoire se remporte sur la durée obscure. De quoi méditer à l'échelle d'un monde financiarisé à l'extrême du risque systémique. Qui sortira vainqueur du prochain Krach ?

Plus proche de nos préoccupations entrepreneuriales, nous pouvons nous demander pourquoi nos sempiternels féodaux Agamemnon et Priam ont-ils repris le pouvoir en occident, tandis que Ulysse continue de parcourir les mers indomptables avec sa bande de start-uppers mal rasés ? Peut-être parce que Platon nous a expliqué qu'il fallait rationaliser la politique et mieux, la modéliser selon un idéal. Alors installer la bureaucratie comme horizon indépassable du travail organisé, pour que la réalité corresponde à sa projection, ou pire, son fantasme. 

Il est aujourd'hui cocasse de constater qu'une théorie anglo-saxonne non platonicienne, l'Effectuation, décrive à grands renforts de conférences et de publications l'agir entrepreneurial. Elle reprend les acquis de la Métis, qui sont de ne pas penser les moyens en fonction des ses fins mais l'inverse, pour en faire un succès académique. Picasso disait mettre du rouge quand il n'avait plus de bleu. Rien de nouveau, donc. De même, certains énoncent l'innovation de rupture comme parangon des vertus sociétales et économiques. Dans cet Orient qui nous semble si lointain et si compliqué, la rupture ne constitue q'une erreur de jugement sur les continuités du temps. Pas la même échelle ni la même cartographie, donc. Mais de quoi inspirer des Ulysse qui souhaitent tenter leur chance en mer de Chine et qui naviguent à vue sur l'océan digital.

http://www.fabriquedesens.net/Les-ruses-de-l-intelligence-La

https://www.youtube.com/watch?v=mPCXbWdoDPY

Tuesday 02.23.16
Posted by Renaud GAULTIER
 

Claude Rutault, du protocole plasticien à l'algorithme entrepreneurial

C'est aussi très pratique d'avoir une règle du jeu, un mode d'emploi ou un guide des bonnes pratiques. Le protocole, à savoir ce qui codifie les rapports de pouvoirs entre instances et représentations, est aussi un mode d'expression pour certains artistes. Certains happenings ne pourraient se dérouler sans la participation codifiée du public en contexte convenu, nous pourrions ainsi citer Yoko Ono ou Marina Abramovic, plus récemment Deborah de Robertis, parmi les "performers" les plus connus. L'excellente monographie consacrée à Claude Rutault par Michel Gauthier et Marie-Hélène Breuil en 2010 (Flammarion- CNAP) décrivent le cheminement intellectuel d'un peintre qui ne se définit pas lui-même comme conceptuel. En 1973, il en arrive à établir un schéma opérationnel, une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée, qui libère la peinture de son autonomie ou de sa prééminence sur son contexte pour ne plus se signaler que par son relief ou ses contours, bas-relief ou presque plat d'un festin de couleurs et de formes qui n'a pas cessé depuis. Cela prendra donc la forme d'une suite de "définitions/méthodes", les fameuses dm numérotées, qui vont explorer le jeu de l'artiste avec l'œuvre et sa prise en charge, celle du galeriste, du curateur ou du collectionneur. Mais il n'est certes pas le premier : Les "instructions paintings" de Yoko Ono dés 1961, les "Sentences on Conceptual Art" de Sol Lewitt en 1968, les propositions de Lawrence Weiner en 1969, "1. L'artiste peut construire l'œuvre / 2. L'œuvre peut être fabriquée. 3. L'œuvre peut ne pas être réalisée / chaque proposition étant égale et conforme à l'intention de l'artiste / le choix d'une des conditions de présentation relève du preneur en charge, à l'occasion de la prise en charge" énoncent le cadre conceptuel initial du travail de Rutault. (Vous pouvez consulter une interview en vidéo lors d'une exposition au centre Pompidou en 2015 : http://www.dailymotion.com/video/x3ibt9l et les visuels de son travail représenté désormais par la galerie Perrotin à Paris : https://www.perrotin.com/artiste-Claude_Rutault-92.html).

Souvenons nous de l'effervescence qui régnait au moment d'une contestation généralisée de la société de production/consommation au sommet de sa glorification et de son inflation, la peinture ne pouvait échapper à sa remise en question. A l'époque du plan calcul, des autoroutes, de La Défense, de la Grande Motte et du triomphe de l'art cinétique, la peinture devient œuvre programme, programmée, programmable. La peinture réalisée se mue alors en actualisation de son projet, résultant de contingences techniques, contextuelles et relationnelles. Rutault a ainsi programmé des "peintures-suicides", procédure d'élimination de l'œuvre si elle ne trouve pas preneur ou si l'artiste meurt, et même des mises aux enchères de toiles vierges à peindre de la couleur du mur où elles prendront place. 

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Plus récemment, Jean-Baptiste Farkas avec IKHÉA en 1998 a lui aussi exploré les modalités de production en proposant des séries d'objets et les valeurs qui leur sont associées par le biais de services. Les protocoles sont ici parodiques et autant d'invitations à exécuter une opération plus ou moins absurde et poétique. Car l'entreprise peut être considérée comme une somme d'actes systématiques, sans cesse compliquée de procédures, obéissant à des normes plus ou moins contradictoires et paradoxales. La finance, alpha et oméga de la valeur, meilleure amie de l'art dans son mécanisme spéculatif, a depuis longtemps troqué l'intervention humaine pour l'algorithme. Avec certains robots reliés à des calculateurs en "deep learning", le choix de la couleur, champ laissé libre au "preneur en charge" dans le protocole de Rutault, ne nous incombe déjà plus. Nous pouvons toujours exhiber notre nudité supposée datant de l'origine du monde en plein musée et réclamer la venue de Monsieur le Directeur, rien n'y fera. HAL is the next CEO, let's go.

Monday 02.08.16
Posted by Renaud GAULTIER
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Co-workers, après la Factory, le réseau ?

DIS, The Island (KEN), 2015.

DIS, The Island (KEN), 2015.

Le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris a délibérément affronté l'époque avec deux expositions majeures et simultanées. Rien de fortuit dans ce parti pris, les "co-workers" entrent en résonance avec la Factory Warholienne de la meilleure des façons. La génération post 1989, née après ce millésime et d'autres qui l'ont précédée avec les mêmes préoccupations, importe les nouvelles formes du travail dans un musée ô combien prestigieux, dévaluant presque son voisin d'en face, le Palais de Tokyo, si hype, si Dj, si lounge, si nécessairement le symptôme utile de ce que l'on trouve dans l'écumoire du temps frénétique. Individualisme en réseau donc, entre Apple, Samsung et Ikea, figurant des espaces et y introduisant des objets rematérialisés depuis des images agrégées sur le www et reproduits en séries limitées, forcément limitées.

Quelles réalités extraire du réseau, quelles activités et connaissance mobiliser pour trier, développer et traiter ces "choses" là, quelle valeur donner au statut d'auteur ou d'artiste à partir de ces données - entendre choses non payées mais consommées - sans hiérarchie, organisation ou homogénéité ? Avec qui "œuvrer" ? Pour quelle audience, dans quel cadre de monstration ? Rarement un tel vent de fraîcheur interrogative a parcouru les salles hautes du MAM. 

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Tout autre était l'éternel retour du barnum Warholien. Remarquablement mis en scène, trente ans de curation ininterrompue à partir du travail du maître de la mise en scène de soi, cela vous aguerrit des commissaires, mais cela pourrait en épuiser le sens, aussi. Comme en écho aux installations immersives parsemées d'intelligence ambiante de l'exposition "Co-workers", nous avions droit à des projections croisées, ah le plaisir d'être traversé par Lou Reed ou Nico dans le show de leur jeunesse, d'affronter le regard froid et sans pitié de Marcel Duchamp durant un long plan séquence, de regarder quelques cowboys bien montés éplucher langoureusement la banane dans une provocation désuète, de tenter de percer l'énigme Dylan derrière ses Ray Ban, ah.

Muséographiquement, la notion de série est bien transcrite, en particulier avec les "Electric chair" et les "Mao Zédong", où la non intervention de l'artiste est contredite par le geste peint, le choix d'une lumière, une couleur, un clair obscur ou un contraste. Il était amusant de retrouver une madonna "Ciccione" dans un cabinet disco chez les youngsters du dessus, nés après la mort du maître, une continuité pop sinon trash, renforcée ailleurs par l'apparition d'une tonsure étoilée du footballeur Cissé, mème photographique revenu des limbes duchampiens ;  et aussi distrayant de constater l'évolution au plus près des modes du graphisme des affiches et des flyers du publiciste compulsif. Un autre moment pour réinscrire le diable argenté dans l'histoire de l'art : ses silver clouds, métaphore joueuse de cette superficialité dont nous nous délectons tant, nous les adeptes du cloud addictif de nos émotions numérisées.

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Et puis, ce fut le choc de "Shadows". Vertige de la figuration répétitive ou plan séquence abstrait ? Plus d'un demi-siècle après l'expérience de peinture totale des Nymphéas de Monet, notre ami américain installe 102 toiles sérigraphiées dans la la grande galerie, juge de paix s'il est de la résistance d'une peinture à l'espace qui l'environne jusqu'à l'engloutir. Une variation sur la disparition, l'ombre d'une présence en plein ou en vide, forme et contre-forme, une partition de cette musique qui ne lasse jamais. Une transe.

La Factory de Warhol and Co fut nous le savons une longue expérimentation de ce que peut être une interrogation sur le système de production à un moment donné. Figuration rigoureuse de l'age industriel et de ce post-industriel d'images et de signes qui s'ensuivit, l'œuvre de Warhol, qui étirait ses happenings entre les sérigraphies, comme pour annoncer les échappées à venir, résiste au temps de l'histoire. Ses oscillations sadiennes, exposer la contrainte et la pulsion pour mieux s'en affranchir, manipuler les corps et tordre les esprits, capturer le temps fuyant, auguraient peut-être de quelques sentes perdues dans le vaste champ du world wide web, côté sombre. Il est à noter qu'à la différence du patron de l'usine à bananes tigrées, la nouvelle génération, qui pourtant assume sa filiation Duchamp-Warhol, se raccroche au tangible, au fait main post-digital. Bricoler du code, comme pour se rassurer.

http://www.mam.paris.fr

Sunday 01.31.16
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Joan Mitchell, par amour de la peinture

Joan Mitchell (1925-1992), à l'atelier en 1956.

Joan Mitchell (1925-1992), à l'atelier en 1956.

(Tous les artistes ne sont pas des innovateurs, mais certains le sont plus que tous : l'art d'innover, l'innovation dans l'art #2)

Il fut une époque où la peinture pouvait provoquer un choc qui bouleverse des existences, où des débats de sociétés se cristallisaient autour de toiles peintes et des artistes devenaient les porte-flingues de la modernité en marche. Un temps où être humain était encore une question que la technologie ne pouvait résoudre. La vie se pouvait alors définir comme une collection d'instants et de mouvements comme autant d'échappées concrètes aux limites de la maîtrise et du désir.

 

 

J'ai rencontré la peinture de Joan Mitchell en 1982. J'avais 18 ans. C'était au musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, sis aile gauche du Palais de Tokyo. Je retrouvai alors une émotion qui s'était atténuée depuis les premiers Nicolas de Staël de mon adolescence. La peinture de Joan Mitchell fut de celles qui changèrent ma vie. Je stationnais longtemps dans la grande salle au mur courbe, celle qui délivre la grande peinture, qui immerge le visiteur dans une expérience totale et noie les croûtes, sans concession pour les faibles ou les tièdes. Mais comment peindre après cela ?

 

 

Joan Mitchell fut de l'aventure new-yorkaise de l'expressionnisme abstrait, jumeau transatlantique de l'abstraction lyrique. Une pionnière de "l'action painting", ainsi qu'on le disait alors. Femme dans un milieu d'artistes particulièrement machistes, de la génération de Cy Twombly et intime de de Kooning, membre d'un "gang" inspiré par la Black Mountain Review, elle exposa dès le début des 50's chez Castelli aux côtés de Kline, Guston, Motherwell, Pollock, Krasner et j'en passe. Elle fit le voyage de retour vers l'Europe, y vécut avec Riopelle et trouva en Jean Fournier un galeriste, un confident, un ami. Quand Sam Francis choisit le Japon comme terre première, Joan Mitchell préfère son jardin de Vétheuil près de Giverny. Imaginez l'après guerre, avec Max Ernst, Giacometti et Riopelle dans le même café à Saint Germain, et, dans le Greenwich Village, Elaine de Kooning remerciant la jeune Mitchell de servir des glaces à son mari pour qu'il évite de boire. Le tout dans une ère atomique, entre guerre chaude en Corée et guerre froide à Berlin, déferlement de frigos saturés de coca-cola et Mac Carthysme dégondé. Et le jazz. Plus exactement le be-bop, option hard bop. De Parker à Coltrane. Une percée. Sur la toile aussi.

Sous l'influence des artistes chassés d'Europe, en incubation durant les années 30, l'art abstrait américain triomphe dans la New York devenue ville-monde. Et une femme impose, sa présence, son langage, sa peinture. Une force. Elle ne théorise pas, elle peint. Le monde explose tout autour, les révolutions incendient partout, Joan Mitchell peint. Sa vie, ses émotions, ses sentiments. En grand. Il est curieux qu'elle ai réfuté toute filiation avec le Monet tardif, car et le mot est d'Elaine de Kooning, elle pratiqua comme un "impressionnisme abstrait". Elle peint ce que l'oeil ne voit pas. Elle donne à deviner le mouvement de la lumière et des corpuscules, les gestes de la nature en éveil, les inclinations de l'âme et les tourments du cœur. Ses contemporains décrivent une femme à l'humeur souvent exécrable, agressive et aux mots gros. Elle peint par à coups, la nuit, pour révéler le jour. Sa peinture demande à peindre le face à face sans remords, pour que nous, regardeurs hésitants, y entrions sans plus de reproche.

 

 

Alors oui, Marc Rothko. Oui, Jackson Pollock. Oui, Sam Francis. Oui, Cy Twombly. Oui, oui, oui. Mais Joan Mitchell est un grand peintre abstrait qui n'a jamais cherché à innover en déclarant une rupture de parade. Elle a voulu s'inscrire dans une tradition, après Cézanne et Van Gogh. Mais, au contact du gang de Greenwich Village, son approche de la surface à peindre l'a amenée là où aucune femme n'était allée auparavant. En prenant tous les risques sans jamais le dire. Une artiste de combat, debout et bord cadre, les brosses en bataille, les tranchées pigmentées pour annoncer une paix qui tarde. Et qui n'est peut-être jamais venue.

 

 

quelques vidéos sur youtube : par un amateur éclairé, portfolio au son de Miles Davis, https://www.youtube.com/watch?v=vXlWvWb_sdo

une conférence au Brooklin Museum  : https://www.youtube.com/watch?v=PnpR_vOA0YY

Un entretien avec Yves Michaud en 1984 : https://users.wfu.edu/~laugh/painting2/mitchell.pdf

Une monographie d'exposition : Sandro Parmiggiani, "La peinture des deux mondes", Skira 2009.

Tuesday 10.20.15
Posted by Renaud GAULTIER
 

Oxygene de Jean-Michel Jarre, l'art d'innover en rupture

Oxygène, 1974.

Oxygène, 1974.

(Tous les artistes ne sont pas des innovateurs, mais certains le sont plus que tous : l'art d'innover, l'innovation dans l'art #1)

Jean-Michel Jarre

Jean-Michel Jarre

A la vision de l'excellent documentaire de Birgit Herdlitschke sur Arte TV, il m'est apparu une nouvelle fois combien cet artiste avait su ouvrir une voie originale pour aujourd'hui s'inscrire dans l'histoire de la musique. Désormais préoccupé par sa place et son rôle  au sein de ce qu'il appelle sa "tribu", celle des compositeurs de musique électronique, Jean-Michel Jarre livre là plusieurs clés de cette innovation majeure.

Son histoire personnelle tout d'abord, marquée par le départ puis l'absence du père, Maurice Jarre, compositeur de musique de films parti s'exiler à Los Angeles et qui deviendra l'une des figures de Hollywood : on lui doit entre autres Lawrence d'Arabie et Docteur Jivago. Père indépassable, comment exister ? Nourri par l'énergie de sa mère, il va bénéficier d'une première éducation musicale "sauvage" en assistant enfant aux répétitions et aux bœufs du "Chat qui pêche", scène du jazz d'avant garde. Ecouter à 8 ans les débuts de Coltrane, Archie Shepp et Chet Baker lave les oreilles pour la vie. Après son passage au conservatoire de Paris, il rejoint le Groupe de Recherche Musicale sous la direction de Pierre Schaeffer, génie de la musique concrète. Rien de naturel à cela sauf pour le jeune Jarre, petit fils de l'inventeur des Teppaz. A cela vous ajoutez la fréquentation de la peinture des années 50 et vous reconstituez sommairement le creuset d'un esprit libre, curieux et inventif. Il lui restait à remplir un espace laissé vide par un père immense, cet espace si souvent associé depuis à sa musique, ces mégapoles du XXIème en devenir.

Ce que soulignent les artistes interrogés à son sujet, c'est effectivement ce que lui même caractérise par l'absence d'inhibitions, en dépit d'une culture immense : "avec Schaeffer, nous avons pu tout expérimenter, il n'y avait encore ni règle de composition ni style défini, juste une approche et des instruments. Il fallait défricher." Hans Zimmer, lui énonce simplement qu'avec les mêmes instruments, Jarre a créé une musique qui lui est propre et qui a rencontré le monde entier. Charlotte Rampling, sa femme, la première à qui il a fait écouter Oxygène, l'album par lequel tout a commencé, lui avait alors dit : "ce sera soit un succès énorme, soit rien". Explorer l'espace depuis sa chambre, frugalement.

Car plus encore que ses compositions, ce pionnier accomplit sa rupture dans la méthode : il est le premier, avec l'allemand Klaus Schulze, à avoir composé dans un home studio, en l'occurence sa cuisine. Fauché, deux synthétiseurs et un magnéto à bandes en tout et pour tout et il bricole au milieu des années 70s une musique qui a tout déclenché. Rappelons-nous qu'à l'époque les studios occupaient des immeubles, pour loger les consoles de 72 pistes et enregistrer les orchestres XXL, et qu'il fallait deux Jumbo jets pour transporter le matériel des concerts de Pink Floyd ou de Led Zeppelin. Jarre ne s'est pas arrêté là, il a commandé aux ingénieurs toutes sortes de dispositifs électroniques dont sa désormais fameuse harpe laser. Si, personnellement, sa musique ne me touche pas, je reconnais volontiers qu'elle constitue la bande son de la mondialisation, au même titre que les Beatles, Michael Jackson ou Madonna.

Dans le domaine des industries créatives, le cas de l'album Oxygène continue de hanter tout directeur de major  : toutes l'ont refusé. Pas de chanson, ni batterie ni guitares, des séquences fleuves, et qui plus est un artiste français, au royaume de la brit music triomphante calibrée top of the pops, personne ne pouvait alors signer un tel projet. Cela fit la fortune d'un petit label français : Dreyfus. Cette incapacité à détecter une révolution n'est pas donc pas le propre des industries traditionnelles. Cela illustre simplement que l'innovation doit conjuguer au moins deux aptitudes organisées : savoir décider et savoir maintenir une culture du nouveau.

Si l'on compare Jarre à l'autre grande figure archéo-électro, Kraftwerk, la différence est de taille : Kraftwerk vient du rock expérimental allemand quand le français est ancré dans une culture de la musique classique et du XXème siècle, augmentée des expérimentations de la musique concrète. Lui-même se sent plus proche d'Edgar Froese du groupe Tangerine Dream. Mais leur point commun réside dans le fait qu'il ne sont pas anglo-saxons. Ils ont donc du inventer pour exister face aux géants britanniques et aux folk-rockers traditionalistes américains. Dans les années 90s et 2000, deux groupes français ont réussi le même hold-up électro, version dance floor : Daft Punk et Air. Ces derniers devenant peu à peu les historiens témoins de la musique électronique, orfèvres du son et collectionneurs de machines. Leurs origines versaillaises, sans doute...

Enfin, Jarre a amené une autre rupture dans la diffusion de la musique populaire : le concert urbain géant. Préfigurant les raves et autres mobilisations de plus de 500 000 personnes, il sort la musique des salles de concert et des stades pour mettre en scène les villes avec des spectacles monumentaux. Il est ainsi le premier à avoir mis en scène Pékin, en 1981, avant de conquérir les USA avec Houston en 1986 pour la NASA ! Depuis, il en a fait un métier, s'éloignant de sa vocation première de compositeur.

Houston, 1986.

Houston, 1986.

Ce documentaire montre un éternel jeune homme, inquiet et débordant d'énergie, WunderKind mélancolique et hyperactif en voie d'apaisement. Peter Pan sincère et touchant, il a simplement osé et su saisir son époque comme personne, avec beaucoup de lucidité. Il a aujourd'hui décidé d'aller à la rencontre de tous les membres de "sa" tribu pour revenir à la musique et composer un nouvel album. Un grand monsieur de l'art populaire, vraiment.

https://www.youtube.com/watch?v=N93ju_saY7o&feature=youtu.be

 

Tuesday 09.22.15
Posted by Renaud GAULTIER
 

Formation, au pluriel ou au singulier ?

Séance de rentrée de la promotion EDHEC 2019.

Séance de rentrée de la promotion EDHEC 2019.

Pour des raisons affichées de recherche de taille critique mais en réalité strictement financières, les grandes écoles françaises de management se sont lancées dans une course au volume que rien ne semble arrêter.

L'équation est simple : les coûts en ressources humaines, 60% du budget, ne cessent d'augmenter en raison de la rareté d'enseignants-chercheurs publiant en sciences de gestion. A cela s'ajoute un coût du foncier et de l'immobilier qui ne cesse d'augmenter tandis que les subventions publiques diminuent. Résultat, pour équilibrer leurs comptes, ces établissements augmentent leurs frais de scolarité et leurs effectifs. Ainsi, plus de trente ans après mon intégration, je suis revenu à l'EDHEC pour co-animer, en compagnie de Catherine Champeyrol et de son équipe, un séminaire de rentrée de la promotion 2019 sur le thème de la coopération créative et nous avons dû composer avec la masse : en 1983, nous étions une petite centaine, en 2015 ils sont 737...

Il convient ici de saluer celles et ceux qui ont mis au point cette machine diplômante ô combien complexe. Diffuser un enseignement théorético-pratique homogène sur des promotions aussi nombreuses tout en maintenant le suivi personnel et la possibilité de choix de spécialisations multiples demande une organisation solide et un management cohérent sur la durée. Le secret de l'EDHEC réside sans doute dans la longévité de son dirigeant, Olivier Oger. 

Il n'en demeure pas moins que former de telles masses au management en environnement complexe et incertain relève de la gageure. Si l'on y ajoute un changement de paradigme managérial, où l'on privilégiera la coopération et l'innovation, cela devient problématique. Le recours aux Moocs et à l'usage de la classe inversée constitue la piste d'un mix éducatif qui va à l'encontre de nos habitudes empreintes de scolastique magistrale.

C'est la raison pour laquelle je fais partie de ceux qui militent pour la formation par le projet dans le projet, seule solution pour intégrer les connaissances en environnement réel. A ce sujet, l'EDHEC vit un tournant : longtemps réputée pour ses associations quasi professionnelles, si l'écart entre la formation académique et la pratique associative n'est plus tenable, cette spécificité est un gisement de pédagogies actives. Etablir un lien, le valoriser et l'exploiter pourrait relancer une machine qui risque de peiner à faire émerger les singularités dont la société et l'économie ont tant besoin.

Mais cela demande aux étudiants comme aux enseignants-chercheurs et aux cadres administratifs de changer de posture. Un chantier de transformation bien dans l'air du temps...


Monday 09.14.15
Posted by Renaud GAULTIER
 

Patrick Neu, quelles nouvelles de nos morts ?

Au palais de Tokyo, une exposition d'un maître des vanités post-mortem. Une aile d'ange en cire, une veste en ailes d'abeilles, des tableaux de Bosch reproduits sur du noir de fumée à même des verres, une armure de samouraï et une couronne d'épines en cristal : le temps nous fuit et nous voit quêter un fragment d'éternité dans des formes archétypales auquel Patrick Neu fait un sort noble et raffiné pour ne pas dire exquis. Des contrastes de matières, réemployées ou détournées de leur vocation première, viennent solliciter nos sens et nous toucher dans nos mémoires communes. Patrick Neu exhume, avec douceur et sollicitude, ces présences fantomatiques qui caractérisent ce qu'il était convenu d'appeler la "Kultur" ou la civilisation. 

La notice précise que l'auteur de ces choses sublimes est discret. Découvrir cette œuvre si bien exprimée installe un état suspendu, dans les limbes de nos cultures inquiètes. Un moment délicat, aux antipodes du quotidien. Nécessaire, donc.

Sunday 09.13.15
Posted by Renaud GAULTIER
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Genèse en tête, apocalypse en cours

Voilà ce que j'écrivais à mi-parcours d'une œuvre picturale au long cours. Achevée depuis, elle attend d'être montrée sous forme d'installation.

(archive)

Par Renaud Gaultier, vendredi 27 juillet 2007 à 15:09 :: la Genèse-en-tête :: #28 :: rss


"J’ai entrepris il y a 8 ans une œuvre picturale pas encore achevée à ce jour. Il s’agit de « la genèse-en-tête », sous-titrée « l’apocalypse en cours ». Elle se présente sous la forme d’une série de 72 panneaux carrés distincts de 1,20 m de côté, tous peints à l’huile sur bois. Peu de gens l’ont vue, mais ceux qui l’ont rencontrée ne sont pas restés indifférents, loin de là. Il m’est souvent demandé de décrire ou d’expliquer ce travail. Or pour moi, quand bien même je vais essayer d’ouvrir les quelques pistes de réflexion qui m’ont guidé jusqu’ici, tout ceci reste très mystérieux.

 

La genèse en-tête explore en effet simultanément plusieurs questions qui me tiennent à cœur. Par exemple : pourquoi créer et ajouter au monde quelque chose dont on suppose qu’il ne s’y trouverait pas déjà ? Qui crée, qui peint ? D’où vient le geste, l’image ? A ces questions je ne sais toujours pas répondre, mais voici ce que déjà je sais de ce travail.

La genèse en tête est une apocalypse en cours.

Un dévoilement, en fait. J’ai commencé de la peindre en 1999, à partir d’intuitions qui me travaillaient depuis 1992. C’est avant tout un parcours dans l’inconnu. La seule chose que je savais au commencement, c’est la règle que je me suis fixée au départ : peindre des huiles sur bois de 1,2mx1,20, pour former une collection de 72 panneaux carrés. Il est évident que ces panneaux ne seront jamais vus tous ensemble ou simultanément, et cela me plait.

Il ne s’agit pas d’un récit de la création au sens narration, mais plutôt de l’expression d’un monde en création qui se dévoile peu à peu à notre vison et notre entendement. Le point de départ est donc aveugle. Seule l’énergie est là, sensible.

La création est un sujet pour mystiques, scientifiques ou spécialistes de la psyché. J’ai voulu passer de l‘autre côté de ces miroirs pour tenter de découvrir ce que j’en savais, moi, de cette œuvre-là, avec pour seuls moyens, quelques couleurs, des supports et du temps. Beaucoup de temps.

J’ai décidé de commencer à mains nues. Comme les premiers hommes.

Aujourd’hui, 40 « genèses » plus tard, j’ai repris les brosses et les couteaux.

Bien des fois, je me suis présenté à l’atelier avec une idée. Je ne l’ai jamais réalisée.

Oui, cette œuvre m’échappe. Et c’est pour cela que je la peins. Cela m’oblige à me dépouiller de mon ego, et je recherche cette nudité. Je ne l’ai évidemment pas trouvée.

Quelquefois, certaines personnes ont ressenti des émotions violentes devant ces peintures, et même de la peur parfois. Peindre, c’est d’abord accepter ce qui vient, c’est aussi exorciser.

Au début, j’ai peint à même le bois, sans apprêt. L’embuage qui en résulte a assourdi les couleurs, donnant parfois des tonalités voilées. Maintenant je travaille sur des fonds blancs. Les harmoniques changent, les couleurs éclatent, même les plus sombres, c’est un long cheminement du regard vers la clarté. Vers une lucidité ?"

 

Renaud Pascal Gaultier, Juillet 2007.

Friday 09.04.15
Posted by Renaud GAULTIER
 

A l'heure ou j'envisage un nouveau projet transocéanique et poétique, un article relatant une aventure antérieure.

"Vendée Globe. Troisième tour du monde en solitaire et sans escale. Une liaison très terre à mer. Catherine Chabaud puise sa confiance dans les télex avec son mentor.

RÉMY FIERE Libération, 28 JANVIER 1997 À 15:15

"Etonnante fin de siècle où les progrès de la technologie permettent les relations épistolaires terre-mer. Entre Catherine Chabaud, en passe d'être la première femme à boucler, en course, le tour du monde à la voile en solitaire sans escale et sans assistance, et Renaud Gaultier, à la fois mentor, gourou, peintre et écrivain, s'entretient depuis le 3 novembre une palpitante conversation qui outrepasse les simples recommandations techniques et les encouragements basiques. Entre la jeune femme blonde, journaliste de formation partie fendre ses incertitudes, et son éminence grise resté à terre, se tisse une relation bien plus forte que les vents les plus mauvais. «Je lui raconte ce que je vis, il me renvoie des messages qui sont exactement cadrés avec ce que je veux vivre». Dans le secret de conversations par télex s'ébauche une histoire au goût de sel et de sens, de poésie et de courage.

«Mon bonze». On les avait déjà croisés, aux Sables-d'Olonne, légèrement speedés par l'urgence d'un départ qui s'était précipité. Elle, la chevelure blonde, la bouche volubile, lui légèrement en retrait, discrète présence qui semblait la rassurer. Elle avait alors parlé de son expérience récente, de ses dernières transats, en équipage ou en solitaire sur Fuji III, des peurs à venir et des paniques qui avaient parfois lessivé son entendement, dans ces moments où combinaison de survie enfilée, balise Argos en main, «on sort du jeu, on rentre dans la survie». Une épaule fragilisée par un accident de ski, un temps de déments, une quille qui bouge, des voiles qui se déchirent, des concurrents qui démâtent: c'était durant l'Europe 1 Star, en juin dernier. Renaud, qu'elle appelle «mon bonze», l'avait alors rassuré, pansant son mental fracturé avec le bandage des mots choisis et les cataplasmes des paroles qui font mouche: «Catherine connaissait un système cumulatif classique, je lui ai dit: "Ne te fais pas de souci, tout ce qui t'arrives est normal, et si tu coules, ce serait même apparemment logique.». En la forçant à prendre du recul, à analyser sa situation, «parce que le stress est un système contagieux qui annihile les capacités, en restaurant la conscience de sa position sur la terre, n'importe quel humain retrouve des capacités», le jeune homme avait ravaudé à gros points les interrogations ponctuelles et les doutes existentiels, les vraies peurs et les fausses impressions. Avec l'aide de Renaud, elle avait finalement repoussé les démons et terminé sixième de l'épreuve dans sa catégorie.

Depuis, in extremis, elle s'est donc offert une chasse initiatique. En prenant le vent du Vendée Globe, une course qu'elle a «toujours eu au fond du coeur et de la poche», une course pour laquelle elle n'a «jamais caché cette envie qui revenait comme la marée, or tu ne luttes pas contre tes envies». La déferlante est arrivée, lors du Grand Pavois de La Rochelle, salon nautique charentais, à la fin de l'été dernier. Un contact qui passe avec Jean-Luc Van den Heede, marin au visage d'ours et à la gentillesse de miel, un sponsor qui suit, un bateau loué, 250 000 francs pour six mois, une philosophie à épouser, celle du propriétaire du navire. Whirlpool-Europe 2 est un bateau fiable, robuste et étroit, frugal et simple à manier. Avec un palmarès qui parle pour lui: à sa barre, Van den Heede a terminé deuxième de la précédente édition du Vendée Globe.

Code poétique. Coup de canon et premières correspondances. Bien loin des communiqués envoyés au PC-course, comme à l'entourage proche. Un code entre les deux brodeurs de sensations, des mots empreints de saveur et de tendresse. Il lui cite Saint-John Perse, Christian Bobin, Herman Melville évidemment, ou des moins connus, comme Armel Guerne, traducteur, lui écrit-il «des grands poètes des passions et des forces naturelles, Goethe, Novalis, Calderon, Shakespeare, Holderlin et Byron»; ou comme Siméon, le poète de Clermont: «Un vent, oui, nous en étions l'oiseau et l'intime clarté, l'émoi, le silence et l'étrave. Qui n'oserait renverser les colonnes du jour quand le rêve est violent».

Cheminement solitaire et regard sur l'autre. «Catherine, c'est un champ poétique», dit Renault; elle lui renvoie ainsi des phrases, belles et simples comme une aquarelle marine, «dis-toi aussi que la pensée qu'on a depuis le large pour les gens qu'on aime n'altère en rien l'expérience solitaire. Mieux encore, ce recul donne plus d'acuité sur l'autre et sur sa vie... Mon regard sur l'autre s'enrichit de mon cheminement solitaire». La solitude, Catherine dit l'aimer, comme elle dit aimer communiquer avec les autres, comme elle aime se retrouver seule à Locmariaquer, comme elle aime partager sa petite maison du golfe du Morbihan avec un «roommate» à l'américaine, Jack Vincent, autre briseur de record autour du monde. «Cela dit, prédisait-elle, quatre mois toute seule, putain, ça doit être quelque chose». Quatre mois au moins, car sa quête ne se double pas d'une course contre la montre. Catherine n'a jamais tenté de jouer avec les plus rapides. A son rythme, c'était prévu, «pas en lutte avec l'élément, mais en phase, en harmonie». Et vogue l'albatros. Avec forcément, dans ces régions de lames immenses et de tempêtes sans fin qu'elle ne connaît que par ses lectures, une légitime appréhension.«Je m'attends à avoir peur dans le sud, j'espère avoir le courage de descendre suffisamment bas, car les moments qui te procurent le plus de plaisir sont ceux où tu as le plus peur.» Dépassement de soi, renvoi dans les cordes: «Maso? Non, je sais que ça va être dur, que je vais souffrir, avoir mal», avec l'angoisse de suivre en retard et à distance les tragédies de ses adversaires, de passer là où certains ont subi le pire. Seule, Catherine Chabaud, mais pas toujours: elle, en est à parler à l'albatros qui la suit depuis des semaines, un «très grand, avec des taches sur les ailes. Quelle présence! Je lui ai demandé de qui il était la réincarnation, mais il m'a dit: "A toi de deviner»... La jeune femme qui a peur que l'on galvaude son histoire, ou qu'on l'abîme en la racontant à sa place n'a pas encore proposé de réponse... ."

FIERE Rémy

Saturday 08.29.15
Posted by Renaud GAULTIER
 

De la bricologie et toutes ces sortes de choses

Dans un hackerspace, il ne faut pas s'attendre à rencontrer la fée du rangement...

Dans un hackerspace, il ne faut pas s'attendre à rencontrer la fée du rangement...

A l'invitation de Stéphane, je me suis rendu dans son antre, les Fabriques du Ponant où l'on trouve aussi le Tyfab, les Petits Débrouillards et une start-up appelée Robot Seed, le tout logé dans un local aux franges du lycée Vauban à Brest. L'ambiance, comme toujours dans ces autrement nommés "tiers lieux", est un doux mélange de bordel indescriptible, bonhommie associative et travail appliqué par des bricoleurs de l'âge numérique.

J'y trouvais là un jeune homme qui terminait une fraiseuse numérique conçue par lui et montée de ses mains, affichant le plein sourire de celui qui a réalisé un vrai "truc" et qui s'est ainsi rendu compte qu'il en était vraiment capable, ceci en appelant d'autres à suivre. Je discutais avec des ingénieurs et des techniciens engloutis par des canapés d'âge canonique, réemployés de justesse avant la benne, parlant de tout et de rien, de techniques et de projets, dans une transversalité totale, dans une écoute d'une exigence rare et toujours dans le souci de trouver une solution. 

Je croisais aussi Mathieu, qui finalise les gravures laser des ses photos grand format. Chacun vient avec son idée sotte et grenue et rencontre là d'autres bricoleurs confirmés ou débutants, venus là pour partager idées, suggestions, projets ou pour tout bonnement donner un coup de main. Tous viennent là résoudre un problème. Leur problème, celui dont ils savent que d'autres l'aideront non seulement à le résoudre et mais qu'ils pourront à leur tour dépanner. Et apprendre. Des autres. De tout le monde. De chacun.

Du militantisme pur et simple, sans grands mots ni grands soirs, pour proposer une alternative à la surconsommation des matières, des personnes et du temps. Prendre ce moment rare. Et se mettre à l'œuvre. Avec d'autres. Constituer un réseau social hybride, une société patraque remise sur une paillasse un peu foutraque et alors, un apprentissage sincère de sa liberté de faire, de penser, de partager.

Il parait que l'U.B.O. envisage de monter un FabLab universitaire : bonne idée, ces académiques qui se réunissent, en dehors de leur laboratoire habituel et en dehors de leur discipline, qui mettent la main à la pâte et se donnent ainsi les chances de concrétiser un dispositif de recherche sur leur champ initial. Aujourd'hui, la "bricologie" est devenue une coopération inventive qui a su intégrer les makers dans le hackerspace, le terme FabLab étant le marketing de la démarche sous les bons auspices du M.I.T. depuis 15 ans. Dans un contexte breton et particulièrement brestois, où  mutuelles et coopératives ont structuré le travail et l'économie sociale depuis l'origine, la démarche mériterait de "passer à l'échelle" pour redynamiser un territoire au bout du souffle des industries agroalimentaires ou de défense. Une façon aussi d'offrir des perspectives à des personnes qui ont raison de vouloir vivre et travailler au pays selon des modalités contemporaines. Le numérique pour concentrer et redistribuer les énergies positives, en quelque sorte.

Du pain sur la planche, du cœur à l'ouvrage, bricologie et toutes ces sortes de choses. A Brest, maintenant.

Sunday 07.19.15
Posted by Renaud GAULTIER
 

"Smart city" ? Vous avez dit "smart city" ?

We all are smart citizens, aren't we ?

We all are smart citizens, aren't we ?

Est-ce que ma ville a une tête de "smart city" ? Au delà de la plaisanterie, il est permis de se poser cette question, là où nous vivons, habitons et travaillons. Si nous ne voulons pas que la cité devienne la propriété numérique de quelques uns, il est plus que temps de s'approprier l'espace du bien commun sous la forme d'une intelligence collective, connectée et partagée.

Chaque opérateur spécialisé, que ce soit en eau, gaz, électricité, télécom, transports, déchets ou autre fonction urbaine, dispose de données qu'il stocke depuis le début de ses services et qu'il a depuis numérisées. Cet agrégat hétérogène, ce fameux "Big Data" urbain, constitue un trésor immatériel que viennent contester les grands du numérique, les "pure players" comme Google ou d'autres compilateurs de métier. Plusieurs enjeux croisent les intérêts de chaque partie prenante : un enjeu industriel, capitalistique et technique tout d'abord, car recueillir et traiter des données en masse demande une certaine organisation et de lourds investissements. Un enjeu commercial et juridique ensuite, parce qu'il convient de définir la nature de ce que l'on compte revendre et son statut au regard de la propriété individuelle et industrielle. A qui appartiennent les informations relatives à la consommation personnelle d'eau et l'historique des déplacements par les transports en commun ou au moyen de son véhicule connecté ? A la personne, à la communauté urbaine, à l'opérateur numérique, au prestataire de services ? Enfin, qui définit les services numériques créés à partir de ces masses de données ? Les usagers, la ville commanditaire, l'opérateur ? Les premiers constats montrent que la transformation des centres villes en centres commerciaux s'augmente déjà d'un "mall for all" digital omniscient, statisticien de nos goûts, de nos achats et de nos rencontres. Dans la ville libérale néocapitaliste, chacun est invité à être entrepreneur de soi et consommateurs de tous, "uberisation" en cours oblige, à être "prosumer ". Or aujourd'hui fleurissent des espaces dits de "co-innovation" et d"innovation ouverte" au cœur des métropoles engagées dans ce processus : qui invente quoi pour qui comment et pour quel partage de résultat, intellectuel, matériel et financier ? Une bataille selon les règles asymétriques des transactions webisées se déroule à l'ombre des gratte-ciels : tout le monde vend, achète, produit de la donnée traitée et globalisée à l'échelle de la métropole numérique étendue. mais dites-moi pour quel mutuel bénéfice, "prosumer" citizen X ? Si le contingentement contrôlé des activités est révolu, quelle régulation collective ? Le marché globalisé sans maître, évacuant à ses confins ou parfois en son centre des populations dans des zones d'exclusions numérique, relève ainsi d'une fiction cyber-punk devenue réalité. Les urbanistes dessinaient des places pour le marché certes, mais pas seulement, aussi pour le théâtre, le défilé, la réunion publique, la flânerie, la détente entre amis et la rencontre amoureuse. A une époque où les villes tentent de reprendre le contrôle du bien commun à commencer par l'eau en régie, il convient de vite remettre au milieu du village global la question de la citoyenneté numérique. Qu'en pensez-vous, citoyen X ?

http://acteursdeleconomie.latribune.fr/debats/conferences/2015-06-10/smart-city-la-ville-comme-objet-collaboratif.html

http://openinnovation-engie.com/fr/innovationweek/conference-smart-cities/884

Sunday 07.12.15
Posted by Renaud GAULTIER
 

France, 6-7-8 01 2015 et après. Non, ce n'est pas une guerre de religion.

Mais une guerre du lien. Le lien social, familial, économique et avant tout citoyen. Défiance vis à vis des gouvernants, des administrations, des professionnels, des soignants, des éducateurs, des entreprises, des pouvoirs judiciaires, législatifs, exécutifs et des médias. Cette guerre de tous contre tous ne profite jamais aux individus libres mais bénéficie en premier lieu à ceux qui s'approprient les biens communs sans s'encombrer de légitimité republicaine et démocratique.

En 2002 et 2003, deux de mes œuvres ont été vandalisées sauvagement, j'ai été diffamé et agressé par certains excités. A.B.O., un Abri, un Banc une Œuvre, disait la difficulté d'habiter l'espace commun, à la frontière de la terre et de l'océan. Le vitrail de ND de Bon Secours -sic- disait le besoin de méditer sur les larmes versées par toutes les femmes et les hommes victimes de la violence et du mensonge, à l'instar de Marie et de Haude, dont cette chapelle célèbre le récit. Déjà, je fus accusé de blasphème pour avoir profané la propriété privée, la nature sacrée et la religion immuable... Pour la petite histoire : j'ai présenté A.B.O. aux European Ways of Life, une exposition qui s'est tenu à Paris lors de l'entre-deux tours des présidentielles de 2002, au Carrousel du Louvre, tandis que défilaient au-dessus de nos têtes les drapeaux noirs, cruciformes, rouges et blancs des droites extrêmes. Comme un signe annonciateur.

J'ai pu mesurer alors l'état d'effondrement moral des corps constitués censés garantir liberté de penser, d'agir et de s'exprimer dans le respect des lois. Je rends hommage ici à Gaëtan Le Guern, seul élu à avoir perçu le danger et manifesté sa solidarité à l'époque.

J'ai alors compris que je devais témoigner de l'esprit critique des lumières partout où je le pouvais et que ma place serait dans la cité auprès des éducateurs, des enseignants-chercheurs, des entrepreneurs et de tous les porteurs de projets humanistes. Enfin pour échapper à la censure, et surtout à sa forme la plus insidieuse, la censure économique, j'ai choisi d'être entrepreneur-artiste, au coeur des phénomènes issus d'une idéologie qui ne dit pas son nom : le management. 

Tuesday 07.07.15
Posted by Renaud GAULTIER
 
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