C'est aussi très pratique d'avoir une règle du jeu, un mode d'emploi ou un guide des bonnes pratiques. Le protocole, à savoir ce qui codifie les rapports de pouvoirs entre instances et représentations, est aussi un mode d'expression pour certains artistes. Certains happenings ne pourraient se dérouler sans la participation codifiée du public en contexte convenu, nous pourrions ainsi citer Yoko Ono ou Marina Abramovic, plus récemment Deborah de Robertis, parmi les "performers" les plus connus. L'excellente monographie consacrée à Claude Rutault par Michel Gauthier et Marie-Hélène Breuil en 2010 (Flammarion- CNAP) décrivent le cheminement intellectuel d'un peintre qui ne se définit pas lui-même comme conceptuel. En 1973, il en arrive à établir un schéma opérationnel, une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée, qui libère la peinture de son autonomie ou de sa prééminence sur son contexte pour ne plus se signaler que par son relief ou ses contours, bas-relief ou presque plat d'un festin de couleurs et de formes qui n'a pas cessé depuis. Cela prendra donc la forme d'une suite de "définitions/méthodes", les fameuses dm numérotées, qui vont explorer le jeu de l'artiste avec l'œuvre et sa prise en charge, celle du galeriste, du curateur ou du collectionneur. Mais il n'est certes pas le premier : Les "instructions paintings" de Yoko Ono dés 1961, les "Sentences on Conceptual Art" de Sol Lewitt en 1968, les propositions de Lawrence Weiner en 1969, "1. L'artiste peut construire l'œuvre / 2. L'œuvre peut être fabriquée. 3. L'œuvre peut ne pas être réalisée / chaque proposition étant égale et conforme à l'intention de l'artiste / le choix d'une des conditions de présentation relève du preneur en charge, à l'occasion de la prise en charge" énoncent le cadre conceptuel initial du travail de Rutault. (Vous pouvez consulter une interview en vidéo lors d'une exposition au centre Pompidou en 2015 : http://www.dailymotion.com/video/x3ibt9l et les visuels de son travail représenté désormais par la galerie Perrotin à Paris : https://www.perrotin.com/artiste-Claude_Rutault-92.html).
Souvenons nous de l'effervescence qui régnait au moment d'une contestation généralisée de la société de production/consommation au sommet de sa glorification et de son inflation, la peinture ne pouvait échapper à sa remise en question. A l'époque du plan calcul, des autoroutes, de La Défense, de la Grande Motte et du triomphe de l'art cinétique, la peinture devient œuvre programme, programmée, programmable. La peinture réalisée se mue alors en actualisation de son projet, résultant de contingences techniques, contextuelles et relationnelles. Rutault a ainsi programmé des "peintures-suicides", procédure d'élimination de l'œuvre si elle ne trouve pas preneur ou si l'artiste meurt, et même des mises aux enchères de toiles vierges à peindre de la couleur du mur où elles prendront place.
Plus récemment, Jean-Baptiste Farkas avec IKHÉA en 1998 a lui aussi exploré les modalités de production en proposant des séries d'objets et les valeurs qui leur sont associées par le biais de services. Les protocoles sont ici parodiques et autant d'invitations à exécuter une opération plus ou moins absurde et poétique. Car l'entreprise peut être considérée comme une somme d'actes systématiques, sans cesse compliquée de procédures, obéissant à des normes plus ou moins contradictoires et paradoxales. La finance, alpha et oméga de la valeur, meilleure amie de l'art dans son mécanisme spéculatif, a depuis longtemps troqué l'intervention humaine pour l'algorithme. Avec certains robots reliés à des calculateurs en "deep learning", le choix de la couleur, champ laissé libre au "preneur en charge" dans le protocole de Rutault, ne nous incombe déjà plus. Nous pouvons toujours exhiber notre nudité supposée datant de l'origine du monde en plein musée et réclamer la venue de Monsieur le Directeur, rien n'y fera. HAL is the next CEO, let's go.