Il est honnête de souligner, après l’échec sans surprise de la dernière COP 26, que les parties prenantes du capitalisme légal ont peu à peu pris en compte un certain nombre de problématiques sociales, environnementales, animales et plus largement planétaires. Quand les états frappés d’incapacité ou bloqués par un exercice par trop vertical du pouvoir font défaut à leurs citoyens, les organisations économiques bricolent des solutions sur le terrain du travail. Entreprise, nouvelle frontière climatique ?
La RSE, responsabilité sociale et environnementale, est un acronyme qui recouvre toutes sortes de pratiques vertueuses qui donnent lieu à l’établissement de classements et de publications. Comme toujours quand il s’agit de firmes, l’auto régulation affichée se partage entre déclarations d’intention et objectifs ambitieux sinon invérifiables. Mais le fait est là, les actionnaires sensibles à l’image de marque de leurs investissements sont désormais incités à faire pression pour infléchir des politiques qui génèrent des externalités négatives. Procès et campagnes de presse permettent ainsi à des ONG de dénoncer les usages d’une mondialisation parfois sauvage.
Une invention venue des Etats-Unis, l’entreprise à mission, vise à contenir les excès de stratégies actionnaires court-termistes et y substituer la notion de bien commun. Dix ans plus tard, le modèle gagne doucement l’Europe et la France, sans rallier pour autant la majorité des acteurs. Le conflit devient vite idéologique, un patron d’un géant de l’agro-alimentaire s’est vu débarqué sans ménagement - management ? - suite à la transformation de son objet social. Ainsi la finalité lucrative se voit augmentée d’un bénéfice social, ou public ou commun. Un conseil de l’objet social s’ajoute ainsi au conseil d’administration usuel. Nous verrons si ces dispositions adoptées librement suffiront à modifier nos contextes de vie et surtout si elles répondront en proportion aux urgences climatiques.
Les économistes et les entrepreneurs se rejoignent parfois dans le questionnement des instruments de mesure : le PIB pour les premiers, le bénéfice pour les seconds. La tenue de colloques savants sur la “post-croissance” abonde de résolutions communes en faveur de l’adoption d’autres critères d’évaluation de la qualité d’une organisation. Le terme même de performance est évidemment remis en cause. Le modèle capitaliste classique repose sur une pensée magique, celle dite du ruissellement. Or la croissance fétiche des pays membres de l’OCDE n’a pas suffi à assurer la prospérité pour tous, loin s’en faut. Le modèle du welfare state, conçu pour compenser les inégalités de revenu, d’accès à la santé et à l’éducation est déclaré quasiment en faillite depuis trois décennies. En effet, la dette des états, accentuée à chaque crise, plombe le renouvellement des infrastructures comme le transport et l’énergie. Indicateur phare des phases de reconstruction après guerre (WWII) le PIB est donc impropre à qualifier une économie à lui seul. Par ailleurs, la contagion du management et de son corollaire le contrôle de gestion jusque dans les politiques publiques a fini par y importer certaines “vallées de la mort” du désinvestissement dont les systèmes de santé et les infrastructures de transports sont les victimes. Enfin, des firmes en situation de monopole non régulé tiennent en respect ou à leur merci des institutions ou des états réduits à l’impuissance, menaçant parfois les libertés publiques.
Ce qui nous - citoyens, entrepreneur, salariés, consommateurs - doit nous amener à revoir les grilles d’analyse d’une économie ou d’une entreprise. Cela invite alors à interroger le cadre idéologique voire philosophique qui a présidé à la constitution d’indicateurs que d’aucuns considèrent comme intangibles. Depuis de nombreuses années, comme par exemple la comptabilité dans le sillage de la chercheuse Eve Chiapello, les instruments de gestion sont revisités sous l’angle sociologique, politique et philosophique. Depuis, de nombreux académiques se sont intéressés à ces outils obscurs de la gestion. Pour construire de nouveaux modèles, imaginer le comment est aussi important sinon plus que le quoi et le pourquoi. Les arnaques récentes au prix du carbone ou encore à la compensation par la reforestation doivent nous inspirer une nécessaire prudence.
Déconstruire notre capitalo(s)cène commun passe par le démantèlement de nos préjugés validés par des instruments obsolètes. Un metoo#management ?
Pour aller plus loin :
Patrick Gilbert et Damien Mourey (coord.), Philosophie et outils de gestion, Editions EMS, 2021
Collectif, Entreprise et post-croissance, Editions Prophil, 2021
Gaël Giraud avec Felwine Sarr, L’Economie à venir, Les Liens qui libèrent, 2021
Alexandre Monnin, Emmanuel Bonnet, Diego Landivar, Héritage et Fermeture, Editions Divergences, 2021