Quelques articles dans la presse locale puis nationale se sont fait l’écho cet été d’incivilités à l’endroit de résidences secondaires de bord de mer et de leurs habitants*. Tags, insultes, vandalisme. Après deux années COVID marquées par de longues séquences confinées, des tensions jusqu’ici latentes sont apparues au grand jour. Les raisons sont multiples. Tour d’un horizon bouché.
Economie du logement tout d’abord. Ainsi, les agents immobiliers de la région de Vannes se réjouissent de l’augmentation des prix de plus de 20% en un an mais déplorent le manque d’offre. Effectivement, il faut une décennie pour lancer et mener à terme des opérations d’urbanisme résidentiel, les programmes tardent à être construits. Conséquence : les « autochtones », « qui vivent et travaillent au pays », n’ont plus les moyens d’habiter en bord de mer même s’ils y exercent leur emploi. Les zones pavillonnaires s’éloignent ainsi de plus en plus des centres d’activité et avec elles les contraintes sur les déplacements quotidiens. L’une des figures des gilets jaunes habite le Morbihan, ce n’est sans doute pas le fait du hasard.
Qualité de vie pour certains seulement. Depuis longtemps, en Bretagne sud, les travailleurs pauvres habitent au nord de la voie express N165, laissant aux retraités les plus aisés des villages balnéarisés. A cela s’ajoutent les désagréments des embouteillages qui rythment désormais les abords des villes jusqu’ici dites moyennes et donc exemptes jusqu’à ce jour de ce type d’inconvénient. Pollution routière, deux voitures par ménage, charges d’entretien, prix du carburant, temps de transport : fait-il encore bon vivre pour tout le monde en Bretagne ?
Pour un cadre confiné ou un retraité fortuné, oui. Les franciliens CSP++ ont choisi de venir résider en bord de mer dans une maison souvent héritée, ont réclamé et obtenu la 4G et bientôt la fibre, les pistes cyclables et les épiceries fines, bio cela va de soi. Ils sont venus nombreux et ont fait déborder les égouts : les interdictions de baignade se multiplient. Pour celles et ceux qui sont venus chercher un environnement purifié des nuisances urbaines, ils ont maintenant le droit de respirer les humeurs d’une vase fétide.
Lavoir à Saint Philibert.
Des voix politiques réclament un taux de résidences secondaires plafonné, quand ce n’est pas un statut de “résident primaire” (sic). Mais le cadre qui télé-travaille avec vue sur mer deux jours sur cinq et y réside quatre jours sur sept, peut-il encore être considéré comme un vacancier ? La colère des « locaux » s’explique d’autant plus que, pour échapper au chômage, beaucoup doivent être les employés sous qualifiés d’une population qui bénéficie des avantages du numérique : femmes de ménage, jardiniers, « concierges », livreurs… Se voir revenir à la situation de leurs ancêtres contraints d’être les domestiques d’une bourgeoisie condescendante nous rappelle la Bécassine d’une époque que l’on croyait révolue. Alors ça grogne. Et cela réveille des colères identitaires anciennes. L’époque n’est pas à la convergence des luttes mais à la confluence des revendications d’identité, sur fond de fantasmes et d’histoires tronquées. Le ciment national est lézardé, une croissance sélective a amplifié les inégalités, sociales et régionales, en un mot, territoriales. Nombre de sites web de la droite extrême ont poussé là sur ce terreau de frustrations, mélangeant catholiques de la manif pour tous, régionalistes indépendantistes et suprématistes blancs**.
Rappelons ici que beaucoup de ces régions littorales étaient pauvres et ont fourni depuis le XIXème siècle les cohortes de fantassins des armées, des usines et de l’exode rural en général. La mode des bains de mer, parente des séjours au pied de la montagne magique, a alors gagné la haute bourgeoisie. Cabourg, Dinard, Pornic. Puis, quand les trente glorieuses ont favorisé l’émergence des classes moyennes, l’automobile a permis au plus grand nombre de réaliser le rêve de la résidence secondaire les pieds dans l’eau. Fin du XXème siècle, troisième vague, les cadres et leurs patrons s’offrent des lieux réputés inaccessibles. L’île de Ré constitue à elle seule un exemple quasiment caricatural, le pont achevant de sceller son sort de parc à riches. Même les carrelets, ces cabanes de pêcheurs si caractéristiques du rivage atlantique, ont connu une privatisation sauvage pour devenir des salons sur pilotis, des décors de magazine. Une colonisation de l’intérieur, en quelque sorte. Pour le promeneur, la rêverie suppose de faire abstraction des demeures aux volets clos et d’imaginer un chemin creux entre les genêts là où le bitume serpente dans un dortoir morne et désert onze mois sur douze. Autrefois fécond, le paysage s’est exilé dans notre mémoire.
Soulignons là l’inefficacité de la loi littorale de 1986. Les côtes continuent de se voir transformer en cordons de pavillons néo-régionaux, loin de tout commerce et à distance d’un village à moitié mort, chapelets qui égrènent les volets clos, sinistres. Souvenons-nous des landes à l’herbe rase et des dunes à perte de vue, communs dédiés au séchage du goémon et à la pâture des moutons. Une poésie révolue, un paysage pour musée, façon école de Pont-Aven.
Dans un pays qui fétichise la propriété immobilière, habiter veut dire s’approprier. Et le capital bâti en bord de mer ne craint que le réchauffement climatique et la montée des eaux. Les communes s’empressent donc de bétonner en hâte des digues en Vendée et en Charente, afin de préserver les aberrations issues d’une autre époque. Le pire étant le développement endémique des marinas, ces ports déplaisants, qui désormais abritent des bateaux à moteur et retiennent des eaux sales. Là aussi, l’écologie n’est pas encore pour demain.
Évidemment, la collectivité n’a pas les moyens de compenser ces multiples effets pervers. Le processus est engagé depuis si longtemps. On peut cependant imaginer que si un virus est à l’origine d’une accentuation du phénomène, un autre événement imprévu pourrait bouleverser la donne sinon l’inverser. Une panne de Gulf Stream ?
Digue à Angoulins.
* Benjamin Keltz, « En Bretagne, les responsables politiques redoutent l’émergence d’une « Breizh Riviera », Le Monde 26 Septembre 2021.
* Oscar Chuberre / Collectif DR, Libération 10 octobre 2021 : https://www.liberation.fr/culture/photographie/se-loger-a-belle-ile-en-mer-le-calvaire-des-insulaires-20211010_2UBRKVDY4VH3HKXPPDLD5AM6MQ/
** « On ne voit plus la mer », Editions Nautilus, 2021.