ou Rock la case black avec Glouglou. Par un heureux - sinon voulu - hasard de la programmation d’Arte, les thèmes de la musique et du vin s’entremêlent, dans une joyeuse bacchanale, le Dieu Pan menant la danse guitare en main et boite à rythme sur le tonneau. A y regarder de plus près, les voies empruntées par ces instrumentistes d’hier et d’aujourd’hui témoignent d’un souci partagé de bien faire les choses, dans un hommage à des traditions parfois oubliées, d’un art de faire et de vivre en somme. Wine Calling ou le difficile riff de la joie.
Quand le britannique Brian Ferry fonde Roxy Music avec ses amis en 1971, l’attitude est délibérément construite, artificielle et distanciée, comme ses professeurs de l’école d’art de Newcastle épris de Duchamp lui ont enseigné, parmi lesquels, excusez du peu, Richard Hamilton himself, le pape du Pop Art version anglaise. Sa fascination pour les signes et les images qui érotisent la consommation de masse deviendront la marque de Roxy Music puis de Brian Ferry en solo. Mais rapidement, il reviendra aux sons de son enfance, publiant des albums de “cover”, reprenant des standards du barde “hobo” Bob Dylan ou du jazz des années vingt. Reniement de la pop que partage Elvis Costello qui, dans la provocation même de son nom de scène parodique, cherchera à démontrer au cours de ses années fastes que la pop est un métier de faiseur de tubes, rien de plus. Avec ses “Attractions”, il fut considéré comme punk à ses débuts, en raison d’un art consommé du discours et de la contestation de l’ordre médiatique établi d’alors. Si sa personnalité clivait parfois violemment et pour cause, son talent fit l’unanimité. D’ailleurs, Paul Mc Cartney et Elton Jones, ci-devant pairs du royaume, y ont eu recours plus souvent qu’on ne le croit. Mais las, il courra vite les studios pour creuser les sillons délaissés d’une musique blanche américaine, entre variétés et rock sixties avec Burt Bacharach ou Roy Robinson, puis sous l’influence peut-être de sa divine épouse Diana Krall, ira payer son tribut de repentance à la Jazz Foundation of America.
Dans cette veine des emprunts à la musique noire américaine dont la pop et le rock usèrent à l’excès pour séduire les classes moyennes blanches en mal de sensations fortes, les Rolling Stones font figure de chefs de file. Pas si simple. Le Rythm and Blues, qui n’a strictement aucun rapport avec le sirop R’N’B dont nous abreuvent radios FM et plateformes de musiques au mètre depuis trente ans, avait plus d’accointances avec certains punks de 1977 ou des rappeurs récents comme Beastie Boys ou Eminem. Provoquer, avec détachement, juste pour jouer et s’assurer la une des journaux. Mais le cynisme calculé d’un Mick Jagger ou la quête éperdue d’un Brian Jones, avides d’argent et de gloire, ne peuvent entacher la sincérité érudite du survivant Keith Richards ou mieux d’un working class hero comme Ron Wood, le comparse du meilleur comme du pire. Ces deux là creusent et fouillent encore et toujours l’héritage d’une musique de pauvres, noirs comme blancs, les “sans-dents” chers aux politiciens en costume d’alpaga. Ils iront fusionner sans vergogne le blues et la country dans un même tempo, accéléré. “But more rollin’ than rockin’, yet.” Comme un frère jaloux, Mick Jagger ira s’afficher en concert de charité avec Muddy Waters, le bluesman noir dont les blancs raffolent, lui le modèle absolu de Keith Richards, lui le Chicagoan d’avant Obama, question de standing, d’intelligence aussi.
Glouglou beaucoup mais souvent pas Glop du tout. Elvis Costello a ainsi trainé comme un boulet ses propos racistes lors d’une altercation passablement alcoolisée avec Stephen Stills, conscience des 60s et des seventies, lui-même ivrogne notoire. La tragédie de l’imposture a ravagé un virtuose comme Eric Clapton, le guitariste “slow hand”, qui ne supportait pas son statut de star. “God” ne vivait que pour la musique et son instrument, son unique raison de vivre. Lui aussi a déblatéré dans un état second mais sur scène cette fois, éructant des propos immondes de racisme. Or il est peut-être le seul de cette génération de monuments de la six cordes qui a pu recueillir l’amitié constante et le soutien des géants du Blues afro-américain, BB King en tête, avec Buddy Guy ou Howlin’Wolf entre autres. On ne pouvait douter de ses sources d’inspiration, tels Robert Johnson ou Big Bill Broonzy. On dit que la disparition prématurée de son ami Jimi Hendrix, ce bluesman afro-gipsy qui électrisait son inspiration auprès des gnawas, l’unique génie auquel il pouvait alors se mesurer à équivalence d’intensité, précipita sa descente aux enfers, trafiqués d’héroïne, de cocaïne et d’alcool. Car il en va de ces recherches stylistiques ou métaphysiques comme du vin, l’ivresse une fois consommée peut donner une gueule de bois dont on ne se remet pas. La vie de “While my guitare gently weeps” Clapton est une tragédie, les morts jonchent sa route et il joue encore, peut-être pour célébrer et continuer la vie de ses proches disparus… Une question toutefois : les excès de la “woke generation” auront-ils raison de ces ponts musicaux au delà des racismes, empêcheront-ils la libre expression de ceux qui illuminent encore nos oreilles en mal de musique bien jouée ? From the Cradle, something sounds like Cream to me, Leila ya know.
Mais aujourd’hui ? Quand l’alcool et les drogues de synthèse les plus sophistiquées sont en vente à l’air libre ou en grande surface pour détruire des vies comme on empoisonne des rats ou des cafards sans avenir autre que celui d’êtres nuisibles mais profitables ? Nous pourrions désespérer de ces artefacts frelatés, qui marient l’extase à l’électro faute de mieux. Il se trouve que des dingues de fête et de musique, des bambocheurs comme aime les appeler notre subtil premier ministre actuel, le déni nommé Jean CasseDesDuraLex (sed Lex), développent et élaborent des vins naturels comme il n’en poussait plus. Une aventure qui perle parfois sous la langue, des arômes de fruit, de gravier et de roches qui retracent le furieux combat des levures contre les bactéries, du vin vivant. Et qui ne donne pas mal à la tête. Glouglou. Et re Glouglou.
Punkovino et Wine Calling sont des documents jubilatoires qui n’hésitent pas à lier le vin naturel, qu’il soit bio ou issu de la bio-dynamie, au rock le plus abrupt ou l’électro la plus connectée. Comme un retour aux sources d’une vie belle et bonne. Une histoire d’innovation expérimentale aussi. Venus de tous les horizons, des gens en rupture de ban de la vinasse formatée improvisent, étudient, élaborent, prennent de vrais risques et frôlent la catastrophe pour partager un plaisir sans pareil : boire un vin joyeux. Elles, car “ils” sont moins nombreux, revisitent crânement le rapport à la terre et sa propriété, à la plantation dans un contexte d’anthropocène sinon de plastocène, à la production, en quantité et en qualité, questionnent notre place dans l’évolution du monde et nos nécessités les plus foncières. Le plus souvent elles - ils - répondent par la coopération. A les voir et les écouter, on rêve. Nul doute qu’une nouvelle génération de viticulteurs et de vignerons nous enracinera dans nos héritages terrestres, sans les malheurs du blues des esclaves du web ni les excès de la production normée pour les masses. Beaucoup y travaillent, assidûment, durement, car la terre est basse et le ciel compliqué. Mais le vin n’est plus assigné à résidence et nos plaisirs ne se masquent plus d’un paraître de luxe. Simply red ? Yeah.
“Punkovino, 10 dissidents du vin naturel” (Série de Tina Meyer, Réal. Yoann Le Gruiec, 2019) : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017612/punkovino/
Brian Ferry, Brian Jones, Elvis Costello, Eric Clapton et les autres : https://www.arte.tv/fr/videos/culture-et-pop/culture-pop/
“Wine Calling : le vin se lève”, (Réal. Bruno Sauvard 2020) : https://www.youtube.com/watch?v=KfuTpRJo2FY