Les événements récents confirment nos difficultés actuelles à nous adapter à une crise d’origine environnementale. Nos sociétés réagissent selon les limites de leur culture scientifique et politique. La plupart avec retard. La notion même de progrès est devenue relative dans des contextes aussi désorganisés. En Europe, le Covid-19 ne fut pas endigué comme le niveau de technique aurait pu le laisser prévoir. Nos vulnérabilités sont mises à nu, et cela est inquiétant.
Depuis deux décennies, nos démocraties malades ont élu des personnalités plus ou moins toxiques en mal de célébrité. Nous devons nous en remettre à eux pour résoudre les problèmes du monde, notre monde. Les autres pays usent de leur fonctionnement autoritaire sinon totalitaire pour contenir les contestations, d”où qu’elles viennent. Dans un tel contexte, il apparaitrait que les seconds s’en sortent mieux que les premières. Etant donné que l’information est totalement verrouillée dans le deuxième cas, il est permis d’en douter. Par contre, les situations de crise exigent un haut niveau de coordination et une application stricte de consignes de survie par le plus grand nombre. Rien n’interdit une démocratie de s’organiser correctement et de diffuser de bonne pratiques.
Au lieu de cela, nous assistons à une panique générale : Italie, Espagne, Royaume Uni, Etats-Unis et France. Ainsi le pays de Pasteur, qui s’enorgueillit d’un des plus hauts budgets consacrés à la Santé Publique, manque de tests et de masques pour enrayer l’épidémie dûe au CoVid-19. Nous voilà confinés. La quarantaine, autant dire le Moyen-âge. C’est là un échec collectif, dont les conséquences conduiront inévitablement à une crise économique, 10% de PIB en moins en 2020 pour les plus optimistes, et au retour de l’inflation pour en atténuer les effets. Cela nous le savons parce que nous pouvons encore nous informer librement, en particulier via internet. Nous pourrions en profiter pour nous remettre en question. A titre personnel tout d’abord, tous nos achats sont-ils indispensables, toutes nos actions sont elles utiles ? Au plan collectif également, toutes nos activités contribuent-elles au bien commun ? En période de confinement rendu obligatoire par l’impréparation de nos gouvernements, nous pouvons également nous interroger sur le fonctionnement de nos démocraties dites libérales. Les différents rouages de la machine publique, parlement, gouvernement, corps intermédiaires, administrations ont-ils produit les résultats que les citoyens seraient en droit d’attendre au vu des dépenses engagées ?
En France comme ailleurs, nous vivons depuis 1983, quatre années après l’avènement des Thatcher et Reagan, sous l’influence d’une doctrine ultra-libérale décomplexée. Ce mouvement a été initié de long terme par des instituts financés aux USA pour protéger les actionnaires des grands groupes contre l’évolution du management et les revendications des salariés. Dans un contexte de guerre froide, l’argument anti-communiste permit d’étouffer dans l’œuf l’espoir né à la fin des années 60. Les avancées sociétales furent la galénique qui fit avaler la pilule amère administrée par la suite, les yeux fermés. Déconstruire l’Etat-providence en mettant en faillite les services publics fut l’objectif, finalement atteint en une trentaine d’années pour les plus réticents comme la France. Réduire les classes ouvrières et moyennes par la désindustrialisation, le chômage de masse et les enchaîner par le crédit à la consommation fut une méthode facile à mettre en œuvre. Détruire est toujours plus facile que de bâtir une société et d’organiser l’Etat censé l’incarner. Il restait à encadrer les masses récalcitrantes. Ce sera l’information et la police.
Nous étions inquiets devant l’usage immodéré mais très réfléchi de la force pour réprimer les mouvements sociaux récents, Loi Travail, Gilets Jaunes, Réforme des Retraites. Nous pouvons craindre le pire devant la militarisation de nos régimes. Nos présidents, narcissiques au dernier degré, mais souffrant d’un déficit de popularité ou mal élus, se mettent en scène sur le dernier piédestal qui leur reste : celui de chef des armées. S’ensuit alors un usage immodéré de métaphores martiales sur le thème éculé de “nous sommes en guerre !”. Pour renforcer le tout, les prises de parole se font depuis un centre de commandement, un hôpital de campagne, bientôt nous aurons droit au porte-avions. Un président dévalué pense que le verbe grandiloquent, les discours fleuves et le menton levé haut font une politique. Il n’en est rien. Appeler à l’unité nationale après avoir déclenché des mois d’émeutes et ne garder le pouvoir qu’à la faveur d’un Etat d’Urgence permanent n’est pas le moindre des paradoxes.
Or un pays ne se gouverne pas dans le pathos. Si guerre il y a alors nous pourrions parler de défaite, un juin 40 de sinistre mémoire, où les dirigeants prouvèrent au monde entier leur impréparation, leur incompétence et leur lâcheté que leur arrogance ne put masquer bien longtemps. Ici le Ministre de la Santé choisit de démissionner au début d’une pandémie mondiale pour remplacer à la tête de la liste de la majorité gouvernementale aux municipales de Paris, capitale de la soi-disant cinquième puissance mondiale, un autre ex-ministre qui avait exhibé son sexe sur les réseaux sociaux… Sic. Et pendant ce temps-là personne ne se préoccupait de l’absence de masques, de tests, de lits, de personnel dans les hôpitaux. Mais la honte n’étouffe pas notre gouvernement. Pire, il en rajoute dans la peur distillée à chaque communiqué, seule à même de justifier la réduction des libertés publiques entamées après les attentats commandités par Daech en 2015. Nous glissons et rien ne peut pour le moment arrêter un processus de régression mortifère. Mais après ? Car autant en 1940 personne ne pouvait imaginer la chute du Reich - attention, comparaison n’est pas raison… -, autant aujourd’hui il nous est permis d’espérer un recul de l’épidémie dans quelques semaine, une fois “la vague” passée. Car tout dans cette histoire ressort du prévisible, de l’anticipation et de l’organisation qui en résulte.
“Le Voyage de Kritikos”, Livre Premier, extrait, 2020.
Mais ce sera pour entrer dans une autre crise, économique, sociale, politique et environnementale celle-là. Comment et avec qui ? la classe politique et médiatique aura beau jeu de se chercher des boucs émissaires. Nul doute, elle les trouvera. Ce qui ne résoudra rien. Ces personnages ne sont rien, si ce n’est les costumés d’un bal sinistre et anonyme. C’est un projet de société tout entier qu’il faut changer. Et il faudra du courage. Pour rester en paix et respecter les lois fondamentales. Toutes et tous avec toutes et tous.
Un virus a fini de dévoiler l’absence de projet de société des politiciens en place. La “Start up nation”, l’équivalent de l’”enrichissez-vous” de Thiers a vécu. Nous pourrions imaginer de reconstruire un pays fraternel et pas s’installer dans une “résilience” contrôlée par des militaires en treillis et armés dans les rues. Une société où la rétribution se calcule sur la contribution sociale, où la monnaie reflète l’économie réelle, où l’éducation est dispensée à toutes et tous tout au long de la vie, où les systèmes de production et de consommation s’accordent à leur impact environnemental, où l’on arrête de monter les groupes sociaux les uns contre les autres. Cela peut paraître idéaliste ? Mais nous souffrons précisément de la dévaluation de toute idéal et souvent même de toute idée qui ne soit pas le fruit d’un matérialisme obtus.
Il est flagrant de constater qu’un être vivant de l’ordre du micron met à mal un modèle de développement fondé sur la technologie et non sur le développement humain. Or les prochains chocs environnementaux seront d’une tout autre dimension. Nous savons déjà que nous ne sommes pas prêts. Dés aujourd’hui nous devons réfléchir à de nouvelles formes d’organisation. Moins pyramidales, moins centralisées, plus adaptatives. plus humaines, en un mot, pacifiques. Ce sera une nouvelle alliance, entre nous et avec la planète toute entière.
Digues et Levées, (Dams & Dykes series), série, huile sur toile, 10F (55x46 cm), 2018.