La galerie Lara Vincy, aujourd’hui courageusement tenue par Youri Vincy, présente du 21 novembre 2019 au 11 janvier 2020 une exposition qui enjambe les époques avec bonheur : Arthur Aeschbacher. A Dada et par dessus les moulins support-surface, une stimulante leçon de plastique, entre belles lettres et occultations volontaires. “Stores Transit” disait le sage !
Accrocher des stores blancs sur un mur blanc, glisser quelques lettres sérigraphiées entre des lamelles bien choisies, provoquer le regard et attendre : le choc, conceptuel autant qu’esthétique. Et cela n’est pas le moindre des exploits d’un artiste qui les a tous fréquentés, les dada, les surréalistes, les Nouveaux Réalistes, les poètes de la Beat Generation, les BPMTs et tous les conceptuels de l’après guerre jusqu’à aujourd’hui. Dernier survivant ? Presque. Injustement comparé à Raymond Hains pour ses compositions à partir de papiers déchirés, il a poursuivi une voie singulière, issue d’une filiation d’enfants du cirque et du théâtre, dont il a méticuleusement accumulé les affiches, reprises pour leurs textes flamboyants et leurs joyeux lettrages. Un travail soigneux, qui restitue une vie scénique par le biais de publicités déstructurées, comme un texte dada qui, conjugué au futur(-isme) fait Zaoum Zaoum puis Baoum Baoum. D’indéniables qualités graphiques, une conception procédurale rigoureuse et une exécution impeccable confèrent à Arthur Aeschbacher une place à part dans le panthéon d’une époque révolue.
Mais il restait à découvrir un travail unique, étonnamment singulier et puissant. Car ce moment où le quantitatif prit le pas sur le qualitatif, un artiste sut le dire, avec des stores... Proposé à contre-courant, sans opportunisme lié à la mode du “revival”, que Youri Vincy en soit donc remercié. Ces pièces de 1972 méritent plus qu’un regard. Au sommet, sa “règle à calcul”, empruntée à une enseigne en volume, qui, surmontant les stores perforés selon une composition subtile, caractérise à elle seule l’âge cybernétique commençant et témoigne la fin de l’usage du cerveau à des fins de calcul quand ce n’est pas de conception. Une époque où la main calculait autant que l’esprit. Depuis, le champ de la réflexion s’est déplacé, les stores ont fermé le réel à la vue et à la mesure de l’Homme. Il s’y est substitué la propagande et la publicité sur le réel, - que fait le publicitaire sinon faire taire le public et rendre sa parole illicite -, seules quelques lettres se sont glissées là, comme échappées de la fournaise du temps Fahrenheit, pour s’abriter et nous appeler à recomposer la vie, tels des typographes clandestins, restaurés dans notre dignité de lecteurs interdits. Oui nous pouvons percer les mystères qui nous enferment entre quatre murs, oui nous pouvons accéder aux réalités par l’expérience vécue, oui nous pouvons exercer notre liberté et discerner au delà des modes et des points de vue autorisés, une possibilité de perspective.
Arthur Aeschbacher (1923- ), Stores Transit, 1972
Arthur Aeschbacher (1923- ), “J’écris la couleur”, Stores Transit, 1972
Arthur Aeschbacher (1923- ), Le Savoir Castagné, 1963
Galerie Lara Vincy : www.lara-vincy.com