Un incendie a détruit la toiture et la charpente de la cathédrale Notre Dame de Paris le soir du lundi 15 avril 2019 sous les yeux de milliers de badauds et de millions de téléspectateurs. Une gigantesque vague d’émotions a depuis submergé les médias, permettant à certaines personnalités opportunistes de s’offrir une opération de communication mondiale, certains allant jusqu’à promettre une reconstruction du monument en cinq années. Les cendres sont retombées, tentons de sonder la symbolique sous les décombres.
Disons d’abord ce qui n’est pas. Une cathédrale n’est ni un palais ni un musée, ni un hôpital ni un opéra, ni une gare ni un aéroport, ni un arc de triomphe ni une sculpture. Et pourtant.
13 millions de personnes la visitent chaque année, la fréquentation du troisième aéroport de France, Nice. Des centaines d’œuvres d’art y sont exposées à la vue du public pour un droit d’entrée libre et gratuit. La musique y est célébrée sous toutes ses formes, un orgue monumental y est installé depuis 600 ans. Le droit d’asile en est une caractéristique héritée du moyen âge, répondant ainsi à l’accueil séculaire des malades à l’Hôtel Dieu voisin. Un milliard d’euros a été levé en 48 heures pour financer les réparations de l’édifice, en provenance du monde entier. Or ce monument, selon les caractéristiques économiques dominant notre époque, est ni rentable ni utile. Alors, de quoi s’agit-il ?
Formulons une hypothèse. ND de Paris est à la fois une réalité tangible et une métaphore de notre destin commun. Autrement dit, elle est, pour beaucoup d’entre nous, notre lieu commun à toutes et tous. Ce qui la rend d’autant plus “sacrée”. Explicitons par le détail.
ND est située sur l’île de la Cité, au centre même de Paris, la ville-lumière qui a un statut d’exception pour les touristes du monde entier. Elle dit, par sa position, la ville et la convergence, symbolisée par sa flèche. Elle raconte le travail minutieux de milliers de personnes engagées dans un acte désintéressé, une œuvre votive. Elle domine les toits de Paris pendant plusieurs siècles et témoigne ainsi de l’existence de quelque chose de plus grand que nous. Certes, mais de qui et de quoi ?
Notre Dame est dédiée à une figure essentielle du christianisme, Marie, à la fois jeune fille, épouse et mère. Notre Dame synthétise et syncrétise la femme universelle, et à la différence des déesses de tous les panthéons antiques, sans lui conférer une figure de pouvoir jaloux et destructeur. Elle accueille avec compassion tous les chagrins du monde. Elle pleure toutes les morts dues aux violences des hommes. Elle accompagne le chemin de chacun, quels que soient ses choix, jusqu’aux plus funestes. Munis d’une corde à nœud, d’une équerre et d’un fil à plomb, les chrétiens ont édifié quantité d’églises et de cathédrales pour signifier dans la pierre, le bois et le verre l’importance et la nécessité d’une telle compréhension de notre humanité. Sa construction a occupé plusieurs générations, montrant ainsi que nos destins sont liés par delà notre temps sur cette terre.
Un tel incendie n’est pas le fruit du hasard, nous le savons, mais de notre impéritie voire de notre incurie. Nous n’avons pas su, au XXIème siècle si fier de ses technologies, prévenir un risque banal dans l’un des monuments les plus connus au monde. Manque d’argent, nous dit-on, quelle ironie. Ce feu n’est évidement pas tombé du ciel mais il nous avertit de risques bien plus graves. Après nous être complus dans le spectacle de la catastrophe, nous nous sommes vantés d’y remédier, nous flattant d’une générosité de circonstance. Mais nous refusons peut-être encore d’entendre l’enseignement de cette Grande Dame. Ce n’est pas quand il est trop tard qu’il faut se préoccuper du malheur qui vient. Depuis quelques siècles, nous avons décidé, “maîtres et possesseurs de la Nature”, de prendre la responsabilité de la planète or rien ni personne ne semble enrayer à la bonne échelle les ravages de l’anthropocène en cours. Comme une métaphore du vaisseau Terre, la nef de pierre s’est coiffée de feu. Notre Dame Nature nous accueille en son sein depuis des milliers d’années, que faisons-nous pour en conserver les bienfaits ? L’émotion suscitée par l’incendie de Notre Dame de Paris nous rappelle peut-être à l’exigence de nous consacrer à la préservation de nos “communs”, ces espaces de vie garants de notre humanité. Dans la gratuité du don, avec humilité.
R.G., “Is there is a path to reconstruction?, « Renaissance » series, oil on wood, 120x120, 2015.