Il est toujours difficile de dire d'un homme qu'il est libre, sans omettre un fer qui le serre aux pieds, sans souligner qu'il s'est émancipé aux dépens d'autrui. Pablo Picasso est présenté aux Capucins, centre du Fonds Culturel Hélène et Edouard Leclerc à Landerneau du 25 juin au 1er novembre 2017. L'occasion de revenir sur un fil de cette vie d'artiste, le parcours d'un homme viscéralement attaché à son désir.
En exposant Picasso, un curateur ou un organisateur d'événements ne prend aucun risque, ainsi que le rappelle* le directeur du Städel Museum & KunstHalle de Francfort, Max Hollein. Une exposition réussie ne se mesure pas au nombre de visiteurs mais si elle établit une référence pour l'avenir ou l'histoire de l'art, comme le complète Udo Kittelmann, directeur de la NationalGalerie de Berlin. Olga Khokhlova à Paris contre Jacqueline Roque à Landerneau, la première et la dernière épouse sont traitées comme angles de vues et surtout prétextes à recettes pour le millésime 2017. Ainsi, après "Picasso et les Maîtres", "Picasso Mania" et la réouverture du Musée Picasso lors de ces cinq dernières années, Picasso fournit une véritable assurance de fréquentation pour institution française en mal d'imagination. Mais Landerneau échappe pour une grande part à ce grief.
Des toiles inédites, issues de la collection personnelle de Jacqueline Picasso et de sa fille Catherine Hutin, une curation sérieuse par le conservateur du Musée d'Antibes, Jean-Louis Andral, une muséographie efficace et élégante par Eric Morin, et enfin une médiation souriante et vraiment accueillante font de cette exposition un succès au delà des chiffres escomptés.
Exposition Picasso, FHEL, Capucins, Landerneau le 24 juin 2017
Alors que penser de la performance estivale de Landerneau ? Les chiffres devraient dépasser les 200 000 visiteurs pour une commune de 16 000 habitants dans une aire urbaine de 45 000 habitants. La culture de qualité, en terre bretonne, fait donc une belle recette. Comme le prouve aussi les 30 000 visiteurs de la manifestation d'été "Art dans les Chapelles". Cela contraste avec le succès relatif du Musée des Beaux Arts de Brest (25 000 visiteurs par an), presque moitié moins que Quimper (45 000) ou Pont Aven, dont on attend les chiffres consolidés après sa rénovation en 2015 (déjà 100 000 par an). Les têtes d'affiche, presque des marques, Pont Aven, Giacometti, Chagall, Picasso assurent ainsi fort logiquement le succès des institutions qui les portent. Mais pas seulement : une muséographie, une médiation et un accueil renouvelés et bien pensés ont aussi largement leur part. Cela nous renvoie donc aux choix politiques : plutôt socio-culturel pour la métropole brestoise, où l'art est pour le moment et depuis longtemps un prétexte à animation populaire; a contrario, un choix délibérément culturel et pédagogique, pour des villes certes de moindre importance et parfois en difficulté économique mais dotée d'un riche passé et très engagées dans leur politique d'attractivité. Les élus de Brest n'aimeraient donc pas - encore ? - les arts plastiques, témoignant ainsi d'une méconnaissance sinon une incompréhension et tournent de ce fait le dos à une population pourtant éduquée et curieuse. Mais les bretons, eux, aiment l'art ET les artistes, c'est aussi vrai, et ils le prouvent, en grands nombres.
Revenons sur l'intérêt de l'exposition Picasso à Landerneau. Elle démontre, une fois encore mais ici sur un plan intime, l'extraordinaire chemin de liberté emprunté par le géant du XXème siècle. Acteur et témoin d'un temps si violent, si guerrier, si révolutionnaire, si industriel, si marchand, si mondialisé, le maître témoigne d'une possibilité de liberté individuelle au milieu des masses écrasées. Son trait est lâché, rien de trop, simple et essentiel, ses couleurs explosent de fraîcheur au crépuscule de sa vie, à l'instar de Matisse et de ses papiers découpés. Les reprises de ses thèmes et de ses motifs favoris, femmes, cirques et toréadors, en témoignent, jusque dans la démesure de toiles immenses, gorgées d'énergie vitale. Dans une époque frileuse et dépressive, lourde de son papy boom et de ses cohortes de migrants et de chômeurs, tétanisée par ses crises démographiques, écologiques et énergétiques, le parcours d'un grand artiste bien exposé révèle alors une vérité éternelle. La liberté est une conquête qui se savoure au terme d'un travail colossal, sur soi et avec ses proches, dans son œuvre et malgré tous les empêcheurs et les empêchements. La liberté ne se décrète pas. La liberté est une création, elle est peut-être LA création. Dans la communauté des êtres humains, il en est qui y dédient leur vie. Il est encore convenu de les nommer artistes. Et certains d'entre eux ont encore quelque chose à nous dire. Maintenant et demain.
* dans un excellent documentaire diffusé sur ArteTv : http://www.arte.tv/fr/videos/052786-003-A/les-regles-de-l-art
Exposition Picasso à Landerneau : http://www.fonds-culturel-leclerc.fr/Accueil-885-0-0-0.html
Sources : http://pro.finisteretourisme.com/sites/default/files/bilan_equipements_2015_web.pdf