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Renaud P. Gaultier

Peintures, Installations et Textes

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Picasso me regarde, et...

Gjon Mili, Picasso, 1948 / Diego Velasquez, "Portrait du nain Sebastian de Morra", 1644 / Pablo Picasso, "Homme assis à l'épée et à la fleur", 1969

Gjon Mili, Picasso, 1948 / Diego Velasquez, "Portrait du nain Sebastian de Morra", 1644 / Pablo Picasso, "Homme assis à l'épée et à la fleur", 1969

Picasso me regarde et je vois la statue du commandeur, tout en puissance et en intelligence. je me demande alors comment on peut traverser le siècle et contribuer à le façonner avec quelques pinceaux et des milliers de toiles. Pendant plus de soixante ans, il a enduré les mêmes critiques, les mêmes jugements condescendants et pourtant. Il a tout aplati puis tout redressé, pour reprendre l'histoire de la peinture là où Cézanne, Van Gogh et Monet l'avaient laissée. jusqu'à revisiter les classiques et faire chanter la litanie des saints patrons de l'huile, martyrs en leur temps du chevalet croûteux : Raphaël, Le Primatice, Greco, Velasquez, Zurbaran, Titien, Poussin, Le Nain, Chardin, David, Goya, Courbet, Corot, Delacroix, Ingres, Manet, Renoir, Cézanne, Van Gogh, priez pour nous et notre humanité, chef d'œuvre toujours en péril.

Picasso me regarde et me renvoie à ma pusillanimité. Quoi, se confronter aux plus grands, quoi de plus facile ?! Copier, déplacer, déformer et toujours s'en tenir à des thèmes battus et rebattus, les mêmes des musées, nature-mortes, nus, scènes d'intérieurs, portraits, groupes et batailles, histoire de défier tous les conservateurs. Le reproche courant était qu'il ne s'en tenait pas à un même style pour un même sujet. Inclassable, inqualifiable, insupportable pour la critique qui n'aime pas être dérangée dans ses albums. Aujourd'hui, si la critique en est réduite à de la rediffusion de communiqués de presse de maisons de couture, il fut une époque où défendre son art demandait un courage exceptionnel. Souvenons nous que Pablo a commencé de montrer son travail dans une France déchirée par les suites de l'affaire Dreyfus. Le climat ne s'est pas arrangé entre deux guerres, les insultes répondaient aux provocations et la calomnie n'était jamais loin de l'éditorial. Mais la France accueillait à cette époque les proscrits de l'art et Paris méritait ses lumières, qui prenaient des patronymes exotiques : voici par exemple Modigliani, Picasso, Chagall, Man Ray, Soutine en attendant les Giacometti, de Staël et Mitchell. Le débat se devait d'être furieux mais les artistes pouvaient proclamer leur voie, faire école, vivre libres. Picasso torée sans craindre la critique, supporte la comparaison, cherche la concurrence des Braque et Matisse dans un monde effervescent.

Picasso me regarde et je cherche comment innover et dire l'époque. Il est le cannibale qui fait chair de toute image, la reproduction sépia d'un maître espagnol, la carte postale ou le chromo publicitaire, la statuette africaine comme la talayotique et aussi la toile originale, qu'il collectionnait avec le même appétit. L'académie hiérarchise, clive, excommunie. Pablo rompt l'oukase et affronte le bon goût. Pour changer le monde, il n'est besoin que de le connaître depuis ailleurs. Le décrire pour l'analyser et en donner une version expurgée de ses ancrages stylistiques mais riche de ses emprunts. Aujourd'hui nous confions cette tache aux algorithmes binaires, l'oeil se meurt de n'être plus ouvert sur un monde divers et profus. 

Picasso me regarde et je cherche mes maîtres quand lui dialoguait par dessus les outrages du temps et les modes du moment. Mais avec qui engager la controverse, bon sang ! Depuis trente ans d'art de fleemarket, de bagages à roulettes et de monogrammes bâchés ! Les grands installateurs, Olafur Eliasson, Annette Messager ou Anish Kapoor ? Les derniers peintres du bout de la queue de la comète, Gerhard Richter, Rita Ackerman ou le défunt Antoni Tapiès ? Pas Miquel Barcèlo, ça non. Souvenez-vous de l'exposition Picasso et les maîtres et rapprochez lui celle des épigones contemporains de Pablo. Qui s'en sort avec les honneurs ? Hockney l'élégant et le très militant Adel Abdessemed, Niki de Saint Phalle ayant tôt disparu. Alors, allongeant la ligne du temps, l'étirer là où nous pourrions reconnaître de nous mêmes, dans le quattrocento inquiet et vibrant des conquêtes à venir, dans l'Afrique d'aujourd'hui, des mégapoles sans contours et des téléphones mobiles recyclés, ou encore dans l'Inde fragmentée, somme de disques durs saturés de sens.

Picasso me regarde et je pense à un certain rock anglais, rap de Chicago ou house de Detroit. Ne pas hésiter, faire et voir ensuite. Affirmer une proposition dans une Europe transie, qui a tout oublié de ses artistes et de ses penseurs, qui n'éclaire que faiblement un temps où les néons ne s'éteignent jamais. Ne plus édulcorer par peur de déplaire aux décideurs anonymes, la bureaucratie ne connait que le beige et le gris moyen. Reprendre le fil élimé d'une histoire sans fin, et convoquer les pigments au tribunal des extinctions des feux, proclamer une joie humaine, par delà les zones de transit et les salons d'aéroport ubérisés, s'affranchir des réseaux enclos, hors de portée des juges en ligne et des commerces douteux. 

Picasso me regarde. Et je vois une âme, forte. Douloureusement forte.

 

Wednesday 11.23.16
Posted by Renaud GAULTIER
 

Hackathon, à quoi bon ?

"Ocean Hackathon", projet DRiFTZ, 7-8-9 octobre 2016.

"Ocean Hackathon", projet DRiFTZ, 7-8-9 octobre 2016.

Hypothèse : et si l'innovation comme l'entrepreneuriat n'en étaient encore qu'au stade infantile ? Examinons ensemble l'un de ces phénomènes qui les caractérisent aux yeux des non-initiés, les week-ends hack-machin-choses. 

Depuis quelques années, sous l'impulsion de franchises venues de Californie - encore...-, se multiplient les initiatives de fins de semaine ouvrées et animées : hackathon, startup week-end, boot camp et autres fabriques de l'innovation ouverte. De plus en plus nombreux, ils se spécialisent pour se différencier et en deviennent thématiques, par exemple Ocean Hackathon ou Social Hackathon pour ne citer qu'eux.

Résumons : des porteurs de projets d'entreprise, d'innovation ou de services sont recrutés sur le web et invités à "pitcher", c'est à dire présenter leur intention de la manière la plus synthétique possible, devant un public généralement composés d'étudiants mais pas seulement. Aujourd'hui, ce processus est en effet de plus en plus repris par certaines entreprises qui veulent décloisonner leurs départements et remotiver leurs équipes. Ensuite, des groupes de 5 à 10 personnes intéressées par le même objet se forment et planchent sur leur sujet durant un week-end. A la fin du week-end, re-pitch en séance plénière devant un jury et remise des prix, par des sponsors concernés par le sujet. Parmi les invariants : les post-it, la pizza party, les canapés mous et le babyfoot.

Utilité ? Généralement pour communiquer, parce que l'entrepreneuriat c'est "hype", l'open innovation c'est "hype", le digital c'est "hyper hype". Il s'agit ici le plus souvent de valoriser des institutions endormies en donnant à croire via force twits enthousiastes qu'elles sont à la pointe du mouvement. Vis à vis des politiques et des médias, ça marche. Parce que personne ne vient vérifier ce qui se trouve sous l'écume : des châteaux de sable. Les équipes se défont le dimanche soir, chacun retourne à ses occupations après avoir mis quelques photos sur une boîte en ligne, et voilà tout. Pour se faire des amis, il y a plus simple, le pub irlandais du coin de la rue par exemple. Côté résultat, jamais rien de détonnant, en absence de méthodologie soutenue par une veille approfondie, on a droit habituellement à des innovations qui sont déjà sur le marché ou "des applis" sur des micro-marchés saturés. Les politiques et les dirigeants qui jugent s'émerveillent alors tous en choeur devant tant d'inventivité, normal, ils n'y connaissent rien. La logique est respectée, rien d'étonnant non plus.

Car l'innovation, au delà de l'injonction publicitaire, demande a minima une volonté, un leadership constant, des moyens matériels, une projection cadrée dans le temps et un lien clair avec l'organisation qui la porte. Dans le cas d'un hackathon, elle devient un événement et non un processus. Aussi, pour rassurer tout le monde, personne ne va songer à évaluer les métriques issues de tels opérations : il n'y a pas de suivi, si ce n'est les retombées dans les médias sociaux. Alors ça continue, week-end après week-end. Mais les combattants vont se faire rares. Sauf si le dispositif évolue.

Nous pourrions dégager cependant quelques pistes de progrès : faire d'un tel week-end un temps fort lors d'une séquence longue, pour ponctuer et accélérer un processus déjà engagé et qui sera suivi d'une continuation avec de nouveaux moyens. Exemple : recueil d'observations sur le terrain, passage à la maquette ou au prototype, test auprès d'utilisateurs, finalisation d'un modèle d'affaires, etc... Ou permettre à des services ou des compétences disjointes de produire un travail en commun. Ou de pousser certains étudiants enclins à décréter le réel à mettre la main à la pâte dans le plaisir de concrétiser. Ou enfin de relier tout ceci à un incubateur-accélérateur proactif et structuré. Encore faut-il assigner à ce type d'action des objectifs assimilables à du management de l'innovation, au delà de la seule communication.

La période va rapidement nous inciter à sortir de ces gadgets portés par ces "buzz words" et c'est tant mieux. Il n'en reste pas moins que l'innovation qui marche est celle conçue, développée et portée par les acteurs eux-mêmes, qu'ils soient producteurs ou utilisateurs. Ce qui s'appelle faire, penser et partager un projet, en somme. Time for a cally, guys !

Monday 11.14.16
Posted by Renaud GAULTIER
 

Pour une œuvre commune, manifeste pour un changement soutenable

Quand les dirigeants en sont à se demander s'ils ne doivent pas hacker eux-mêmes leur organisation pour lui donner une chance de survivre aux transitions qui s'annoncent...

Quand les dirigeants en sont à se demander s'ils ne doivent pas hacker eux-mêmes leur organisation pour lui donner une chance de survivre aux transitions qui s'annoncent...

Au prétexte d’adaptation à la mondialisation et maintenant au digital, les injonctions au changement forcé se multiplient, font peser sur les organisations des pressions parfois insupportables et s’avèrent, le plus souvent, contre-productives. Restructurations, fusions-acquisitions, redressements et autres retournements d’entreprises bouleversent les identités au travail et mettent à mal la motivation des personnes. Et cela peut s’expliquer.

Les approches de la conduite du changement convergent toutes sur le même prérequis : la mise en danger individuelle et collective. Ce changement par la peur est alors propice aux dérives les plus autoritaires, tant il est centré sur la figure du chef et ses affidés. Le changement est ainsi vécu comme un diktat, qui suscite alors toutes les résistances, des plus déclarées aux plus sournoises sinon passives.

Or, quand on sonne l’alarme, on devient et c’est logique, sourd à toute opinion, sentiment ou avis contraire. C’est le temps de l’urgence, du piétinement des autres, du chacun pour soi. Il est parfois sidérant de constater que les mêmes dirigeants qui ont ignoré tous les signaux du danger dont leurs subordonnés et consultants les ont informés depuis des mois se précipitent toutes sirènes hurlantes vers la sortie en préparant Plans Sociaux d’Entreprise sur l’air du « je vous l’avais bien dit ». Ce changement est-il soutenable ? Oui, jusqu’au suivant. Et, au rythme des organisations contemporaines, cela peut vouloir dire deux ans plus tard. Comme si la décision de changer devait être de l’ordre de la fatalité brutale.

Et pourtant. Que de richesses dans les entreprises ! Des personnes investies sinon dévouées, qui compensent les pesanteurs bureaucratiques par une astuce au quotidien. Des personnes qui, en vingt ans, se sont adaptées à la bureautique, aux machines à commande numérique, au flux tendus, au yield management, à l'Euro, aux réseaux sociaux, au commerce sur internet, au low cost, au temps partiel et au chômage de masse.

La question n’est donc pas de savoir si l’on doit transformer ou non une organisation pour la relancer dans le flux des échanges économiques mais comment et avec qui. Comment ? En faisant appel à l’intelligence des parties prenantes et au premier plan les salariés. Avec Qui ? Mais avec tous, pardi !

La désaffection ou le désengagement des salariés constatés ici et là masquent une réalité bien plus prosaïque : ils ne voient plus quelle est leur influence sur le cours des choses et les horizons radieux sont devenus lointains, si lointains qu’ils en soupçonnent jusqu’à l’existence.

Nous pensons qu’il faut quitter cette situation d’aliénation, cette coupure entre le travail et la personne, qui établit désormais que l’individu ne se reconnaît plus dans ce qu’il fait ou pourrait faire. Et cela d'autant plus que les défis dits de la Transition l'exigent. Car ce n'est pas le travail qui manque, mais l'emploi ancien. Reste à en inventer de nouvelles formes, de nouveaux cadres.

Nous proposons donc de faire ensemble. De faire œuvre commune. De produire à plusieurs quelque chose qui ait un sens pour ceux qui l’ont produit. De reconnaître la valeur des personnes qui font, la qualité de leur savoir faire, l’énergie de leurs coopérations, le talent de leur expression dans le travail. Faire œuvre commune. Dans l’entreprise, dans l’administration, dans la collectivité.

Après, il sera toujours temps de recenser les compétences et les connaissances mobilisées, pour les améliorer ou les développer dans le projet. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : le projet d’entreprendre. Ensemble. De le réfléchir sur de nouvelles bases, ensemble. Et alors le partager. Ce n’est alors plus de la communication, c’est simplement de la relation sur des valeurs construites par l’exemple.

La transformation comme le changement sont des thèmes délicats à aborder aujourd’hui. Car ces processus sont subis plus qu’ils ne sont désirés. Nous pensons qu’il convient d’abord de réveiller le désir d’entreprendre. Autrement dit de produire de la valeur ensemble. Cela demande donc de changer d’approche sinon de méthode. Réapprendre à faire œuvre commune, en somme.

Wednesday 10.05.16
Posted by Renaud GAULTIER
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Quand la trace devient sillage, l’humide et le sec

(A l'occasion du LuxembourgArtPrize 2016, j'ai reformulé ma démarche d'artiste en ces termes. Pro domo...)

Huile sur bois, 120x120cm

Huile sur bois, 120x120cm

« Ce n’est pas le monde qui est immense mais notre résistance à penser le monde, oser le monde, devenir le monde. »*

Mon travail tente de répondre à un questionnement qui me hante et gagne en épaisseur depuis plus de trente ans : « quel est donc ce projet occidental pour ce monde ? » Je l’interroge du regard, dans l’image mais aussi par l’art construit ou l’installation temporaire in situ, dans cette nature habitée et répertoriée, aux lisières du chaos et particulier sur l’estran, cette frange toujours mouvante de l’océan.

L’océan est pour moi ce recueil d’histoires et de fantasmes, d’inconnues et de refoulements, ce divan d’un monde globalisé, ressource jadis infinie et désormais en voie d’épuisement, témoin du réchauffement planétaire et des conflits incandescents, de la saturation des échanges et du débordement des masses liquides, des risques calculés et des flux non maîtrisés, des empires disparus et des vies coulées, des conquêtes audacieuses et des navigations complexes, des créatures innommables et des trafics immondes, des thermoclines mouvantes et des abysses étranges, du cyberespace satellisé et de la gouvernance de nos existences.

Son littoral est alors l’espace limite, le trait d’une côte fractale, la contrainte au changement de modalité, pour naviguer, voler ou s’en retourner sur terre.

Alors depuis 1992 j’ai peint comme un chant des effondrements, pour dire ce qui subsiste quand on reste sur le sable, après la fin des cités flottantes. J’ai bâti une porte dans la mer, construit un radeau des songes sur un quai,  posé un bidet dans le flot, noué des tubes dans une baie, embarqué des antiquités électroniques sur un radeau - encore -, disposé un cube rouge ouvert – c’est selon – et réflexif sur une pointe, construit un fanal interactif pour faire société dans une ville du Finistère et peint, toujours. J’ai ainsi peint ce que je pouvais peindre quand j’ai la genèse-en-tête et pense à une apocalypse en cours, quand le monde se (re)crée, quand nous nommons, décrivons et récitons ce monde à l’œuvre.

Cette alternance du travail solitaire, la peinture, la petite installation et le roman-photo, et du travail collectif, le monumental, m’a peu à peu incité à penser ma pratique autrement, jusqu’à devenir entrepreneur-artiste, pour cadrer, et chercheur, pour comprendre. Ulysse et Jason naviguent en équipage mais se retrouvent seuls à projeter, diriger et décider, in fine.

J’ai fait il y a maintenant bien longtemps l’hypothèse non seulement d’un âge régi par la Technique mais dont le management est le langage, un ensemble de pratiques assertives plus ou moins documentées, une culture faite entre autres artefacts de chiffres, de mots valises, d’approximations et de diaporamas, de décisions douloureuses et de projets enthousiasmants, de propos tenus en réunion et des objectifs affichés en séminaires, d’immeubles de bureau, de salons d’aéroport et de conventions, beaucoup de conventions, qui finissent par contribuer au fait social sinon sociétal. J’ai trouvé cela très intéressant. Parce que cela sous-tend et encapsule à la fois la globalisation du projet occidental sur le monde. Et que le management mondialisé s’invite tous les jours dans la décision politique, locale ou internationale, dans le projet scientifique et inévitablement, fait en sorte que la technique croise l’éthique en des eaux qui restent encore à définir.

Alors aujourd’hui, en tant que plasticien, après avoir hier écrit un mémoire sur l’entreprise critique comme réponse au management en situation de crise, je rédige une thèse sur les apports de l’art contemporain dans la formation à la création d’activités innovantes selon un protocole d’entreprise-artiste. Je développe ce travail dans un laboratoire en Sciences de Gestion, comme l’artiste de la Renaissance qui s’intéressait aux sciences de la vie –de rerum natura –ou aux mathématiques appliquées à l’architecture – de architectura -. Car nous sommes en résurgence voire renaissance, ce que nous nommons communément Transition. Une transition à l’heure du deuxième monde, le soi-disant virtuel, ce tout numérisé, ce multivers contemporain dont nous cherchons l’astrolabe, navigateurs mal assistés. Une transition que l’on recouvre d’une injonction à innover, sans reconnaître que notre monde gréco-latin a déjà étendu le domaine de la Renaissance – Vita Nova – à toute la planète. Une transition à l’heure des prises de conscience d’un monde matériel fini. Et de ses mutations critiques. De ses limites aussi. Et des confrontations au risque de l’autre, du voisin de ce village mondial interconnecté mais sans maire – cent mers, au delà des mers – qui s’organise autour de ses rituels et de ses célébrations tapageuses, foires et championnats, des mythes héroïques, toujours. Le voilà cet océan, utilisé comme espace de l’interstice, du conflit changeant et des migrations des peuples, du commerce des biens, du profit et des pertes, des ressources halieutiques et des météores subits, des continents fragmentés et des nations insulaires. Mais que recouvre ce flux d’informations, ces données projetées sur le monde, si divers, si peu connu une fois descendu de son œil satellite ? Les luttes terrestres et les disparitions en mer ? L’expérience du commun ? Le vivant ?

C’est pourquoi, ces derniers mois, j’ai alterné les périodes de peinture dans la clôture de l’atelier avec la création-recherche sur le terrain d’un artefact social, DRiFTZ, jeu massif multi-joueurs en ligne, qui propose, à partir de données environnementales réelles, de créer une communauté de citoyens des océans.

DRiFTZ consiste à imaginer et développer son propre avatar à partir de formules mathématiques et de codes informatiques sous la forme d'un objet dérivant sur l'océan et de le confronter aux courants et aux vents. Sa navigation s'augmente d'une documentation interactive sur les régions traversées : climat, histoire, vie et biologie marine, reliefs, routes maritimes, économie et activités humaines. Même si par principe toutes les mers et les océans sont concernés, il est d'abord envisagé de lancer ces DRiFTZ sur un Gulf Stream numérique. DRiFTZ interroge ainsi notre représentation digitalisée du monde et les algorithmes qui régissent nos relations mais aussi plus généralement la gouvernance par les nombres, Big Ocean Data comme matériau et artefact social, pour tenter de figurer ce que serait une citoyenneté numérique et transocéanique.

La philosophie de cette œuvre participative est de donner la possibilité à chacun de changer son rapport au temps, le court et le long, et aussi sa relation technologique à l’espace dit naturel, le tout global que nous habitons et partageons plus ou moins. DRiFTZ modifie aussi notre posture devant le flux des événements, notre position d’influence et notre degré de liberté. Chaque avatar devient ainsi un compagnon de notre vie en ligne, qui trace sa route et définit sa singularité, « virtu et fortune ». Elle questionne aussi la notion de désert liquide et de frontières intangibles, et de là, l’habitabilité et le partage de cette planète que l’on dit bleue. 

Montrer/partager, un questionnement

En vous présentant mon travail, je souhaite bien évidemment lui faire accéder à davantage de reconnaissance et de diffusion, à une valorisation, aussi. Je dispose de quantités de photos et vidéos d’installations, de toiles et de bois peints, comme autant de jalons d’un chemin de vie d’artiste. Cela pourrait intéresser celles et ceux qui s’interrogent sur la course du vaisseau planétaire et notre place à bord.

Ces œuvres requièrent à mon sens un travail de curation, parfois de reformulation et d’adaptation, pour être mieux présentées aux commissaires d’exposition et aux collectionneurs et espérer ainsi exposer voire accéder aux mondes de l’art au sens large : tirages photographiques, formats vidéographiques, éditions de multiples, installations reproductibles, etc. Je souhaite donc collaborer avec des professionnels pour mieux formaliser mes propositions dans ces contextes. Cela pourrait prendre la forme d’une exposition qui s’intitulerait « Là où je vais, rétrospectivement ? ».

Je vise également à établir sous peu une résidence d’artiste dans une organisation pérenne et en réseau, fondation ou autre, afin de poursuivre mes recherches et produire mes travaux dans un cadre démultiplié sur plusieurs sites et exposés à différents contextes culturels. DRiFTZ pourrait être l’œuvre ainsi produite qui en résulterait. J’espère donc que ma participation au LuxembourgArtPrize ouvrira un espace de coopération fructueux.

Pour le LuxembourgArtPrize, j’ai choisi de proposer des images de peintures récentes, en premier lieu pour le plaisir de les montrer, mais aussi parce que mon travail de plasticien et de chercheur est plus facile à développer dans le contexte du site de La SMAF : https://lasmaf.squarespace.com/portfolio/

Quand l’espace est à peindre, quelle présence proposer au monde ?

Peindre une toile ou tout type de surface, la planche, le mur ou la pièce, revient à couvrir et remplir en même temps. Le blanc initial figure déjà quelque chose, un vide, à ceci près que cela demeure une convention, dont certains peuvent s’en amuser voire s’en contenter. Une toile blanche peut effectivement se suffire à elle-même, ainsi que Malevitch l’a démontré.

Couvrir suppose la chose cachée et incite au dévoilement. Autre paradoxe, couvrir c’est aussi montrer ce que l’on ne voit pas communément et donc dévoiler ce que l’on ne saurait voir autrement. Mettre un écran entre le vide symbolique et soi par une chose qui y est rapporté intentionnellement et que l’on rappelle à notre connaissance par une figuration, une forme-convention, ou un assemblage de couleurs, de traits et de formes sans signifiant immédiat établit une relation en soi et une pensée, entre soi et une personne qui a pensé. La peinture comme « cosa mentale », toujours.

En ce qui concerne mon travail, j’ai pratiqué le bois non enduit, qui absorbe la chose peinte par embuage, le bois enduit et blanchi et la toile, évidemment. Mais au delà de la surface et du support, que signifie peindre ? Après trente ans de tentatives plus ou moins heureuses, j’en suis venu à considérer que c’est une possibilité millénaire offerte à l’être d’attester d’une présence, le plus souvent la sienne, un autre soi-même dans un espace créé. Un écart de l’être au réel, aussi.

Cette tension entre l’espace vide et le sujet, le soi, déterminerait alors la production de gestes, de signes, de figures plus ou moins assignables voire reconnaissables. L’esthétique sinon le style résulterait alors d’une perception compréhensive de cette « mise en œuvre » de ce projet sans cesse recommencé.

Mais qui dit présence annonce la représentation, dit autrement le simulacre de sa réalité. L’anthropologue évoquera le prototype d’une entité investie dans l’objet d’art qui trouve ici un véhicule, là et dans d’autres. Depuis Nadar et sa quête d’objectivité dans les plaques argentiques, le prototype est devenu le film puis le fichier original. Les peintres ont pu alors s’affranchir des rappels à la réalité et explorer d’autres figurations, hors champ et comme en apesanteur. Mais que devient le sens lorsque le peintre n’illustre plus ? Une forme générative, autonome, pour elle même, l’artefact en soi, dont le sens mute selon celui qui l’interprète du regard. Les abstractions géométriques ou lyriques se sont alors situées sur les rives opposées de la subjectivité, de part et d’autre de l’émotion contenue.

Peindre demeure un acte concret, aux limites de l’indicible. Cela souligne l’importance du choix du médium, la matière picturale elle même. L’huile garde ma préférence. Pas seulement pour sa sensualité, son odeur, sa viscosité. Pour ce qu’elle raconte. L’huile ne sèche pas, elle durcit. L’huile retire un peu d’oxygène au monde pour se lier à son support et fixer son image. Rien d’innocent, donc, dans cette transmutation qui traduit là une vie propre, un passage du fluide au minéral originel, substance autonome une fois appliquée par la main. Le témoignage d’une affirmation, aussi.

Peindre au temps des transitions

Depuis que je peins, comme beaucoup j’oscille entre matière et vide, figuration et abstraction, paysage et situation du vivant. Mais dans ma peinture comme dans mes installations, je m’intéresse surtout à ce que signifie habiter ce monde, exposé au changement. La situation prototype étant pour moi l’estran ou plus largement la rencontre entre terre et mer, lieu et moment de transition par excellence. Ce qui dure et ce qui change, les infinies combinaisons de mouvements, de lumières et de paysages, le flux et le minéral, l’immense et le restreint, le contingent et l’inéluctable.

Résurgences, retour au désert

 

Pour la sélection de travaux demandée, et dans la suite d’un happening réalisé fin 2015 à Paris nommé « Endiguement quantitatif (quand vient le flot) », j’ai prélevé et présente ce qui évoque cet instant si singulier lorsque la terre est submergée ou s’oppose à sa disparition, entre deux flots et sous les nuées : « Mais une vapeur monte de la terre, elle abreuve toutes les faces de la glèbe », dit la Bible (Gen. 2, 6), juste avant l’apparition du premier homme, au septième jour. En ces temps incertains, sous ce régime de l’anthropocène encore mal défini et encore moins maîtrisé, il m’apparaît nécessaire de peindre cette montée des eaux. Et le recouvrement, comme une dette contractée, anonymement. A nous d’y placer nos disparus, l’être humain et tous les vivants.

Renaud Gaultier, Brest 2016

*j’ai écrit et adopté cette devise en 1992, elle m’accompagne depuis…

Quelques éléments bibliographiques

Agamben G. (2014), „Qu’est-ce qu’un dispositif ?“, Payot et Rivages.

Alter N. (2000), l’innovation ordinaire, PUF

Ardenne P. (2002), « Un art contextuel », Flammarion.

Arasse D. (1978), „L’homme en perspective – les primitifs en italie“, Hazan

Becker H. (1988), „Les Mondes de l’art“, Flammarion

Boltanski L. et Chiapello E. (1999), « Le nouvel esprit du capitalisme », NRF essais, Gallimard.

Boucheron P. (2013), « Conjurer la Peur, Sienne 1338 », Seuil

Bourriaud N., Esthétique relationnelle, Paris, Les presses du réel, 1998.

Chouraqui A. (Trad.), La Bible, Desclée de Brouwer, Paris

Cometti J.-P. et Giraud Eric (dir.) 2014, « Black Mountain College : Art, démocratie, utopie », Presses Universitaires de Rennes.

Dewey J. (1931) (Trad. Cometti J.-P.), « L’Art comme expérience », Farrago 2006

Diamond J. (2006), Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie [« Collapse: How Societies Choose to Fail or Succeed »], Gallimard, NRF essais

Eco U. (1963), „L’oeuvre ouverte“, Points, Seuil

Goldberg I. (2014), « Installations », CNRS Editions.

Goodman N. (1968), « langages de l’art : une approche de la théorie des symboles », Hachette 1990.

Hillaire N. (Dir.)(2008), « L’Artiste et l’Entrepreneur », Cité du Design Editions

Huault I. (2008), « les approches critiques du management » in « Le Management, fondements et renouvellements », (dir. Schmidt G., 2008), Sciences Humaines Editions.

Lamarche-Vadel et Beuys (1985), « Joseph Beuys. Is it about a bicycle? », Marval, Paris.

Nicolas-Le-Strat P., Une sociologie du travail artistique. Artistes et créativité diffuse, Paris, L’Harmattan, 1998.

Supiot A. (2015), La Gouvernance par les nombres, Cours au Collège de France, Fayard.

Toma Y. (dir.) avec Barrientos R.-M. (2008), « les entreprises critiques », Collection Chaire de Recherche en Création et Créativité, Cité du Design Editions avec Advancia et Art & Flux – CERAP éditions.

Weick K.E. (1995), « Sensemaking in organizations », Sage.

 

Pour le LuxembourgArtPrize 2016, une sélection de 3 pièces.

Œuvre n°1 : Résurgence, retour au désert ?

Huile sur toile, 194x130 cm.

Huile sur toile, 194x130 cm.

Dans le renouvellement de mon travail sur « la genèse-en-tête (l’apocalypse en cours) », et à la suite d’un happening réalisé fin 2015 à Paris nommé « Endiguement quantitatif (quand vient le flot) », j’ai prélevé et présente ici ce qui évoque cet instant si singulier lorsque la terre est submergée ou s’oppose à sa disparition, entre deux flots et sous les nuées : « Mais une vapeur monte de la terre, elle abreuve toutes les faces de la glèbe », dit la Bible (Gen. 2, 6), juste avant l’apparition du premier homme, au septième jour. En ces temps incertains, sous ce régime de l’anthropocène encore mal défini et encore moins maîtrisé, il m’apparaît nécessaire de peindre cette montée des eaux. Et le recouvrement, comme une dette contractée, anonymement. A nous d’y placer nos disparus, l’être humain et tous les vivants.

Œuvre n°2 : Ouverture boréale, 60F

Huile sur toile, 130x97 cm.

Huile sur toile, 130x97 cm.

Un nouveau monde, un autre monde ou un monde disparu ?

Ouverture boréale fait partie d’une série intitulée 60 Figures, qui interroge sur ce format la faculté de donner à voir une forme peinte contemporaine codée comme un même, de ce fait immédiatement reconnaissable, mais qui suscite une intrigue par une absence choisie. Dans cette thématique plus générale de transition climatique sur fond d’anthropocène, j’ai choisi ici de traiter la montée des eaux et ce vide laissé par l’humain. Est-ce aujourd’hui, demain, il y a 100 millions d’années ou dans un paysage que personne ne pourra voir, d’ici 100 000 ans ? Seul le regard peut y installer l’être humain et y habiter en esprit. A nous d’imaginer la phase de ce flux : statique, dynamique, en décrue ou avant la submersion ? Eaux froides, chaudes, en cours d’évaporation, précipitation, liquéfaction ou glaciation. A nous de se décrire les mondes immergés, disparus, escamotés du regard et de la connaissance, en attendant le retour de l’archéo-climatologue. Geler, figer. Et jouir du moment, au présent.

Œuvre n°3 : Le ravin, 60F

Huile sur toile, 130x97 cm.

Huile sur toile, 130x97 cm.

Le ravin fait partie d’une série intitulée 60 Figures, qui interroge sur ce format la faculté de donner à voir une forme peinte contemporaine codée comme un même, et de ce fait immédiatement reconnaissable, mais qui suscite une intrigue par une absence choisie. Dans cette thématique plus générale de transition climatique sur fond d’anthropocène, j’ai choisi ici de traiter ce temps d’un monde porté à incandescence, au bord de la fusion. Il n’est plus question ici de déréliction mais d’une situation invisible, l’homme s’étant éteint longtemps avant ce moment. En esprit, noyer l’incendie. Ou s’y consumer, au présent

 

Tuesday 07.05.16
Posted by Renaud GAULTIER
 

Peindre, une présence ?

Malevitch, 1918, "Carré Blanc sur fond blanc"

Malevitch, 1918, "Carré Blanc sur fond blanc"

Quand l’espace est à peindre, quelle présence proposer au monde ?

Peindre une toile ou tout type de surface, la planche, le mur ou la pièce, revient à couvrir et remplir en même temps. Le blanc initial figure déjà quelque chose, le vide, à ceci près que cela demeure une convention, dont certains peuvent s’en amuser voire s’en contenter. Une toile blanche peut effectivement se suffire à elle-même.

Couvrir suppose la chose cachée et incite au dévoilement. Autre paradoxe, couvrir c’est aussi montrer ce que l’on ne voit pas communément et donc dévoiler ce que l’on ne saurait voir autrement. Mettre un écran entre le vide symbolique et soi par une chose qui y est rapporté intentionnellement et que l’on rappelle à notre connaissance par une figuration, une forme-convention, ou un assemblage de couleurs, de traits et de formes sans signifiant immédiat établit une relation en soi et une pensée, entre soi et une personne qui a pensé. La peinture comme « cosa mentale », toujours.

En ce qui concerne mon travail, j’ai pratiqué le bois non enduit, qui absorbe la chose peinte par embuage, le bois enduit et blanchi et la toile, évidemment. Mais au delà de la surface et du support, que signifie peindre ? Après trente ans de tentatives plus ou moins heureuses, j’en suis venu à considérer que c’est une possibilité millénaire offerte à l’être d’attester d’une présence, le plus souvent la sienne, un autre soi-même dans un espace créé.

Cette tension entre l’espace vide et le sujet, le soi, déterminerait alors la production de gestes, de signes, de figures plus ou moins assignables voire reconnaissables. L’esthétique sinon le style résulterait alors d’une perception compréhensive de cette « mise en œuvre » de ce projet sans cesse recommencé.

Mais qui dit présence annonce la représentation, dit autrement le simulacre de sa réalité. L’anthropologue évoquera le prototype d’une entité investie dans l’objet d’art qui trouve là un véhicule, là et dans d’autres. Depuis Nadar et sa quête d’objectivité dans les plaques argentiques, le prototype est devenu le film puis le fichier original. Les peintres ont pu alors s’affranchir des rappels à la réalité et explorer d’autres figurations, hors champ et comme en apesanteur. Mais que devient le sens lorsque le peintre n’illustre plus ? Une forme générative, autonome, pour elle même, l’artefact en soi, dont le sens mute selon celui qui l’interprète du regard. Les abstractions géométriques ou lyriques se sont alors situées sur les rives opposées de la subjectivité, de part et d’autre de l’émotion contenue.

Peindre demeure un acte concret, aux limites de l’indicible. Cela souligne l’importance du choix du médium, la matière picturale elle même. L’huile garde ma préférence. Pas seulement pour sa sensualité, son odeur, sa viscosité. Pour ce qu’elle raconte. L’huile ne sèche pas, elle durcit. L’huile retire un peu d’oxygène au monde pour se lier à son support et fixer son image. Rien d’innocent, donc, dans cette transmutation qui traduit là une vie propre, un passage du fluide au minéral originel, substance autonome une fois appliquée par la main. Le témoignage d’une affirmation, aussi.

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Friday 05.20.16
Posted by Renaud GAULTIER
 

Renaître, comme une possibilité ultime

"Renaissance #11", huile sur bois, 120x120, 2016

"Renaissance #11", huile sur bois, 120x120, 2016

En 2015, après quelques intermittences picturales entre deux projets pédagogiques particulièrement intenses et dévorants, je reprenais l'usage de mes mains, les brosses et un format connu, le carré de contreplaqué de 120 par 120. 

De 1999 à 2008, j'avais peint sur 72 de ces surfaces "la Genèse en-tête, l'apocalypse en cours". (https://lasmaf.squarespace.com/blog/2015/9/4/gense-en-tte-apocalypse-en-cours) (https://lasmaf.squarespace.com/portfolio/#/la-genese-en-tete/). Déjà se posait la question de l'engendrement de l'être, de la recherche d'une identité, de soi, du monde et de sa représentation. Et aussi de la mémoire, celle que l'on véhicule par sa culture ou que l'on fabrique par ses expériences vécues, intangibles le plus souvent et impermanente, selon un processus d'invention perpétuel, un agencement du plausible et surtout du supportable, si empreinte de déterminisme et si fragile aussi, dés qu'on la questionne d'un peu près. Peindre revenait alors à tenter de déposer ce qui résulte de ce mélange là, cette irruption de la trame mémorielle sous le désir, de ce qui ne se dit pas, faute de mots ou de moyens. Pour connaître, face à face, dans l'intimité de l'atelier.

Et puis, tandis que je m'épuisais dans des projets portés par des institutions insanes, la notion de perte puis de fin, d'achèvement de soi jusqu'à la disparition, s'installait. Brûler tout ce qui consistait le soi connu. Et le laisser pour presque mort. Recueillir les dépouilles comme on renarde sur un champ de bataille abandonné, vide de sens. Et il subsiste peu de choses quand tout a été consumé dans une sauvage obstination, comme dans un procès fait à soi même et repris par d'autres qui n'en savent rien mais qui goûtent la charogne.

Or je constatais que tout n'était pas fini. La pulsion de vie exige de réparer le corps, l'esprit et de recouvrer une parole. Mais à partir de quel matériau ? C'est là que la mémoire intervient dans son empreinte voire son emprise. Faut-il recommencer, répéter  ? Mais alors n'est-ce pas reprendre ce parcours de destruction ? Que dois-je laisser à la poussière, que dois-je glaner pour reprendre une route oubliée, si tant est qu'elle ait croisé la mienne. Décomposer n'est pas nécessairement suivi d'une recomposition construite. Mais alors quels nouveaux éléments chercher ? Ou laisser venir à soi, par transparences et dévoilements ?

"Renaissances" parle de ce moment là, produit à partir de ce qui est connu et de ce qui demande à revivre, mais aussi de ce qui n'a pas été émancipé de l'ignorance dans laquelle je me tenais alors. Rien d'établi sinon le travail. Une voie lente, sur un bas côté instable en bordure de route et aux franges du fossé, qui demande un pied souple et léger, à l'air libre.

https://lasmaf.squarespace.com/portfolio/#/renaissances/

 

Monday 04.25.16
Posted by Renaud GAULTIER
 

60 Figures, pour s'abstraire d'un trop plein de choses

60 F, comme un nom d'escadrille. 60F pour 60 Figure, signale un format de châssis entoilé, 130 par 97 centimètres pour être exact. Mais aussi pour énoncer 60 possibilités de figurations. Figurer plutôt que représenter. Il est habituel d'opposer l'abstraction à la figuration, ce que l'on retrouve dans les mathématiques, en anglais figures signifient les chiffres, ce qui nous rappelle combien nous avons traduit la réalité en nombres. Nous pourrions alors dire que nous avons chiffré ce que nous avons déchiffré du réel, depuis notre perception et tous nos appareils. Et nous continuons, jusqu'à saturer nos calculateurs de "données", pour mieux décrire, expliquer et maintenant prédire. Or rien ne nous est donné, car nous prélevons sans cesse, nous interprétons jusqu'à épuiser le sens de nos mondes, depuis nos désirs de croire, sous couvert de science, que nous exorcisons les choses de leur influence sur nos vies par l'analyse de leur matérialité symbolique. Car nous existons désormais dans l'ombre portée des nombres. Certaines cultures expliquent l'univers visible et invisible par la lettre, combinée sous forme d'un alphabet distribué en une infinité de mots. Mais l'occident a quitté les rives de l'Indus depuis longtemps et seule la digitalisation prévaut. De la photographie argentique au scanner photonique, nous archivons le monde phénoménal, nous imageons nos vies et les réifions parfois de façon compulsive, car les choses ne nous suffisent plus, il nous faut les capturer encore et encore, comme des possédés.

Comment échapper alors à ce destin de sujet devenu objet sous forme composite et multiple ? Se réapproprier les choses tout d'abord, écrire des listes comme Eco et dessiner son environnement comme Buffon ou Linné. Mais mettre à distance les choses comme un acte de contrition cognitif ne suffit plus. Nous sommes submergés. Ce trop plein de choses nous déborde et nous empêche. Une voie s'ouvre parfois sous les pas du philosophe, au terme d'un chemin qui ne mène apparemment nulle part. La peinture aussi peut délivrer du réel qui trop existe. La main sait ce que l'oeil ne veut pas voir. Prendre conscience de la non-existence et lui donner corps sans se perdre en abîmes de paradoxes tient alors à quelques formes pigmentées et agencées selon d'autres aléas, aux frontières des maîtrises anxieuses. Ne nous méprenons pas, il s'agit à chaque fois d'un aveu d'échec, mais il est tangible, marque une avancée là où la musique nous échoue dans la disparition de toute trace, dissous dans une émotion qui toujours finit. Alors oui, peindre pour figurer l'irreprésentable, la non-chose. Et s'abstraire, vraiment.

Thursday 03.31.16
Posted by Renaud GAULTIER
 

Le Faclab, une solution de transdisciplinarité ?

Le 3 mars 2016, par l'intermédiaire de Alexandra Fronville, enseignant-chercheur, Maître de Conférences à l'ESPE de Brest, mathématicienne spécialiste des modélisations de la morphogenèse et des pédagogies TICEs, je fus invité lors des assises de la pédagogie de l'UBO à assister à la présentation du FabLab universitaire nouvellement créé. L'ensemble des parties prenantes du projet était représenté et venait illustrer un parti-pris d'ouverture et de mobilisation au sein de l'UBO et au-delà. Designers de l'EESAB et plasticienne indépendante, chercheurs en sciences humaines et sciences dures, étudiants, tous se sont réunis pour dire leur volonté de décloisonnement et de créativité opérante. (http://www.univ-brest.fr/assises_pedagogie)

Pour le projet DRiFTZ, tout concorde alors, ce que confirmera l'entretien avec Yves Quéré, le chef de projet de l'UBO Open factory : transdisciplinarité, apprentissage par le projet, souhait de trouver un projet structurant et non anecdotique susceptible de s'inscrire dans une continuité d'animation. J'ai pu préciser la spécificité à mes yeux fondamentale d'un fablab universitaire et ce qui le différencie d'un fablab citoyen classique, qui tient à sa nature d'unité de formation-recherche par le projet. (http://www.univ-brest.fr/openfactory/)

Je voudrai souligner ici une évidence et des difficultés. Une évidence tout d'abord, l'implantation d'un fablab au cœur de la vie universitaire. Véritable artefact social, ce tiers-lieu permet de donner vie et corps à la transdisciplinarité, décloisonnant les unités de formation-recherche, libérant les échanges sans les contraintes statutaires ou hiérarchiques qui pèsent sur le monde académique, initiant au projet, à l'aventure humaine, à l'innovation. Des difficultés ensuite, avec la double contrainte qui pèse sur l'université, à savoir innover et accueillir les masses. Les enseignements enrichis par le numérique, MOOCs et classes inversées, devraient peut-être inclure la formation au projet par le recours régulier sinon systématique au tiers-lieu du type FacLab. Cela nécessiterait alors de changer les plans de charge, de construire de grandes usines à projets pour accueillir non pas 40 mais 1000 élèves simultanément. Là est peut-être la relance par l'innovation et la recherche : l'effet de masse par les étudiants. Les missions des enseignants-chercheurs évolueraient dans la forme et non dans le fond. La digitalisation des universités n'est pas l'adjonction de tablettes dans les amphis et de wifi dans les cafétérias, mais bien dans la transformation des pratiques pédagogiques. Vaste programme. A Brest, les universitaires en ont pris conscience, la vice-présidente chargée de la pédagogie prend part au pilotage du FabLab. Un début de solution, donc.

Au fait, à l'issue de cette réunion dans les locaux de l'UBO Open Factory, nous avons convenu de travailler ensemble pour bâtir le projet DRiFTZ : le terrain de recherche est peut-être déjà tout tracé.

Wednesday 03.09.16
Posted by Renaud GAULTIER
 

La mètis, l'art de la transformation efficace ou innover en silence

Pablo Picasso, Le combat avec le taureau, 1934

Pablo Picasso, Le combat avec le taureau, 1934

En écoutant ou en lisant François Jullien, ou encore Jean-Pierre Vernant, nous pouvons nous étonner des ponts possibles entre des rationalités grecques et chinoises, et plus encore entre des philosophies de l'agir réfléchi. Au moment ou nous sommes surexposés à des discours sur l'innovation qui ne serait que rupture, il est sage de nous reposer sur les rives de ce qui nous fait penser. Le concept de Mètis, océanide ondoyante et changeante, fille d'Océan et de Thètis, nous renvoie à la notion de projet, tel que Platon nous l'a légué, tel que notre physique galiléenne, cartésienne et newtonienne nous l'a structuré. Car Mètis déconstruit le projet, et Mètis ne traite que de situations. Ni plan, ni application pratique d'un postulat théorique, agir consiste à créer les conditions d'une exécution facile, en fonction des circonstances rencontrées. Un art de la rencontre, un situationnisme avant la lettre. Ulysse le rusé résoud L'iliade en un coup, son cheval de bois modifie le rapport de forces en faveur des Achéens. Ce qui est dehors vient au dedans, l'asymétrie est renversée, fin d'un affrontement en lignes régulières et bien ordonnées, où tout est sous contrôle. 

La Chine contemporaine ne peut plus cacher ses transformations derrière un mur de silence : tout le monde craint aujourd'hui son effondrement après avoir spéculé sur son éveil. Pas de doctrine rigide depuis la révolution culturelle, dernier avatar de l'assimilation des cultures politiques occidentales, seul l'avènement de la technique au service de la grandeur de l'empire compte désormais. Dans l'Art de la Guerre, Sun Tzu enseigne que la bataille n'est que la conclusion d'une opération longuement préparée, "pas de quoi louer le général victorieux". Un processus à bas bruit, un aménagement des conditions en sa faveur valent mieux qu'une épopée à grand fracas. Nous qui cultivons le culte des héros, du courage et du génie singulier en circonstances critiques, une culture nous enseigne que la difficulté ne fait pas le mérite et que la victoire se remporte sur la durée obscure. De quoi méditer à l'échelle d'un monde financiarisé à l'extrême du risque systémique. Qui sortira vainqueur du prochain Krach ?

Plus proche de nos préoccupations entrepreneuriales, nous pouvons nous demander pourquoi nos sempiternels féodaux Agamemnon et Priam ont-ils repris le pouvoir en occident, tandis que Ulysse continue de parcourir les mers indomptables avec sa bande de start-uppers mal rasés ? Peut-être parce que Platon nous a expliqué qu'il fallait rationaliser la politique et mieux, la modéliser selon un idéal. Alors installer la bureaucratie comme horizon indépassable du travail organisé, pour que la réalité corresponde à sa projection, ou pire, son fantasme. 

Il est aujourd'hui cocasse de constater qu'une théorie anglo-saxonne non platonicienne, l'Effectuation, décrive à grands renforts de conférences et de publications l'agir entrepreneurial. Elle reprend les acquis de la Métis, qui sont de ne pas penser les moyens en fonction des ses fins mais l'inverse, pour en faire un succès académique. Picasso disait mettre du rouge quand il n'avait plus de bleu. Rien de nouveau, donc. De même, certains énoncent l'innovation de rupture comme parangon des vertus sociétales et économiques. Dans cet Orient qui nous semble si lointain et si compliqué, la rupture ne constitue q'une erreur de jugement sur les continuités du temps. Pas la même échelle ni la même cartographie, donc. Mais de quoi inspirer des Ulysse qui souhaitent tenter leur chance en mer de Chine et qui naviguent à vue sur l'océan digital.

http://www.fabriquedesens.net/Les-ruses-de-l-intelligence-La

https://www.youtube.com/watch?v=mPCXbWdoDPY

Tuesday 02.23.16
Posted by Renaud GAULTIER
 

Claude Rutault, du protocole plasticien à l'algorithme entrepreneurial

C'est aussi très pratique d'avoir une règle du jeu, un mode d'emploi ou un guide des bonnes pratiques. Le protocole, à savoir ce qui codifie les rapports de pouvoirs entre instances et représentations, est aussi un mode d'expression pour certains artistes. Certains happenings ne pourraient se dérouler sans la participation codifiée du public en contexte convenu, nous pourrions ainsi citer Yoko Ono ou Marina Abramovic, plus récemment Deborah de Robertis, parmi les "performers" les plus connus. L'excellente monographie consacrée à Claude Rutault par Michel Gauthier et Marie-Hélène Breuil en 2010 (Flammarion- CNAP) décrivent le cheminement intellectuel d'un peintre qui ne se définit pas lui-même comme conceptuel. En 1973, il en arrive à établir un schéma opérationnel, une toile tendue sur châssis peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accrochée, qui libère la peinture de son autonomie ou de sa prééminence sur son contexte pour ne plus se signaler que par son relief ou ses contours, bas-relief ou presque plat d'un festin de couleurs et de formes qui n'a pas cessé depuis. Cela prendra donc la forme d'une suite de "définitions/méthodes", les fameuses dm numérotées, qui vont explorer le jeu de l'artiste avec l'œuvre et sa prise en charge, celle du galeriste, du curateur ou du collectionneur. Mais il n'est certes pas le premier : Les "instructions paintings" de Yoko Ono dés 1961, les "Sentences on Conceptual Art" de Sol Lewitt en 1968, les propositions de Lawrence Weiner en 1969, "1. L'artiste peut construire l'œuvre / 2. L'œuvre peut être fabriquée. 3. L'œuvre peut ne pas être réalisée / chaque proposition étant égale et conforme à l'intention de l'artiste / le choix d'une des conditions de présentation relève du preneur en charge, à l'occasion de la prise en charge" énoncent le cadre conceptuel initial du travail de Rutault. (Vous pouvez consulter une interview en vidéo lors d'une exposition au centre Pompidou en 2015 : http://www.dailymotion.com/video/x3ibt9l et les visuels de son travail représenté désormais par la galerie Perrotin à Paris : https://www.perrotin.com/artiste-Claude_Rutault-92.html).

Souvenons nous de l'effervescence qui régnait au moment d'une contestation généralisée de la société de production/consommation au sommet de sa glorification et de son inflation, la peinture ne pouvait échapper à sa remise en question. A l'époque du plan calcul, des autoroutes, de La Défense, de la Grande Motte et du triomphe de l'art cinétique, la peinture devient œuvre programme, programmée, programmable. La peinture réalisée se mue alors en actualisation de son projet, résultant de contingences techniques, contextuelles et relationnelles. Rutault a ainsi programmé des "peintures-suicides", procédure d'élimination de l'œuvre si elle ne trouve pas preneur ou si l'artiste meurt, et même des mises aux enchères de toiles vierges à peindre de la couleur du mur où elles prendront place. 

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Plus récemment, Jean-Baptiste Farkas avec IKHÉA en 1998 a lui aussi exploré les modalités de production en proposant des séries d'objets et les valeurs qui leur sont associées par le biais de services. Les protocoles sont ici parodiques et autant d'invitations à exécuter une opération plus ou moins absurde et poétique. Car l'entreprise peut être considérée comme une somme d'actes systématiques, sans cesse compliquée de procédures, obéissant à des normes plus ou moins contradictoires et paradoxales. La finance, alpha et oméga de la valeur, meilleure amie de l'art dans son mécanisme spéculatif, a depuis longtemps troqué l'intervention humaine pour l'algorithme. Avec certains robots reliés à des calculateurs en "deep learning", le choix de la couleur, champ laissé libre au "preneur en charge" dans le protocole de Rutault, ne nous incombe déjà plus. Nous pouvons toujours exhiber notre nudité supposée datant de l'origine du monde en plein musée et réclamer la venue de Monsieur le Directeur, rien n'y fera. HAL is the next CEO, let's go.

Monday 02.08.16
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Co-workers, après la Factory, le réseau ?

DIS, The Island (KEN), 2015.

DIS, The Island (KEN), 2015.

Le Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris a délibérément affronté l'époque avec deux expositions majeures et simultanées. Rien de fortuit dans ce parti pris, les "co-workers" entrent en résonance avec la Factory Warholienne de la meilleure des façons. La génération post 1989, née après ce millésime et d'autres qui l'ont précédée avec les mêmes préoccupations, importe les nouvelles formes du travail dans un musée ô combien prestigieux, dévaluant presque son voisin d'en face, le Palais de Tokyo, si hype, si Dj, si lounge, si nécessairement le symptôme utile de ce que l'on trouve dans l'écumoire du temps frénétique. Individualisme en réseau donc, entre Apple, Samsung et Ikea, figurant des espaces et y introduisant des objets rematérialisés depuis des images agrégées sur le www et reproduits en séries limitées, forcément limitées.

Quelles réalités extraire du réseau, quelles activités et connaissance mobiliser pour trier, développer et traiter ces "choses" là, quelle valeur donner au statut d'auteur ou d'artiste à partir de ces données - entendre choses non payées mais consommées - sans hiérarchie, organisation ou homogénéité ? Avec qui "œuvrer" ? Pour quelle audience, dans quel cadre de monstration ? Rarement un tel vent de fraîcheur interrogative a parcouru les salles hautes du MAM. 

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Tout autre était l'éternel retour du barnum Warholien. Remarquablement mis en scène, trente ans de curation ininterrompue à partir du travail du maître de la mise en scène de soi, cela vous aguerrit des commissaires, mais cela pourrait en épuiser le sens, aussi. Comme en écho aux installations immersives parsemées d'intelligence ambiante de l'exposition "Co-workers", nous avions droit à des projections croisées, ah le plaisir d'être traversé par Lou Reed ou Nico dans le show de leur jeunesse, d'affronter le regard froid et sans pitié de Marcel Duchamp durant un long plan séquence, de regarder quelques cowboys bien montés éplucher langoureusement la banane dans une provocation désuète, de tenter de percer l'énigme Dylan derrière ses Ray Ban, ah.

Muséographiquement, la notion de série est bien transcrite, en particulier avec les "Electric chair" et les "Mao Zédong", où la non intervention de l'artiste est contredite par le geste peint, le choix d'une lumière, une couleur, un clair obscur ou un contraste. Il était amusant de retrouver une madonna "Ciccione" dans un cabinet disco chez les youngsters du dessus, nés après la mort du maître, une continuité pop sinon trash, renforcée ailleurs par l'apparition d'une tonsure étoilée du footballeur Cissé, mème photographique revenu des limbes duchampiens ;  et aussi distrayant de constater l'évolution au plus près des modes du graphisme des affiches et des flyers du publiciste compulsif. Un autre moment pour réinscrire le diable argenté dans l'histoire de l'art : ses silver clouds, métaphore joueuse de cette superficialité dont nous nous délectons tant, nous les adeptes du cloud addictif de nos émotions numérisées.

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Et puis, ce fut le choc de "Shadows". Vertige de la figuration répétitive ou plan séquence abstrait ? Plus d'un demi-siècle après l'expérience de peinture totale des Nymphéas de Monet, notre ami américain installe 102 toiles sérigraphiées dans la la grande galerie, juge de paix s'il est de la résistance d'une peinture à l'espace qui l'environne jusqu'à l'engloutir. Une variation sur la disparition, l'ombre d'une présence en plein ou en vide, forme et contre-forme, une partition de cette musique qui ne lasse jamais. Une transe.

La Factory de Warhol and Co fut nous le savons une longue expérimentation de ce que peut être une interrogation sur le système de production à un moment donné. Figuration rigoureuse de l'age industriel et de ce post-industriel d'images et de signes qui s'ensuivit, l'œuvre de Warhol, qui étirait ses happenings entre les sérigraphies, comme pour annoncer les échappées à venir, résiste au temps de l'histoire. Ses oscillations sadiennes, exposer la contrainte et la pulsion pour mieux s'en affranchir, manipuler les corps et tordre les esprits, capturer le temps fuyant, auguraient peut-être de quelques sentes perdues dans le vaste champ du world wide web, côté sombre. Il est à noter qu'à la différence du patron de l'usine à bananes tigrées, la nouvelle génération, qui pourtant assume sa filiation Duchamp-Warhol, se raccroche au tangible, au fait main post-digital. Bricoler du code, comme pour se rassurer.

http://www.mam.paris.fr

Sunday 01.31.16
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Joan Mitchell, par amour de la peinture

Joan Mitchell (1925-1992), à l'atelier en 1956.

Joan Mitchell (1925-1992), à l'atelier en 1956.

(Tous les artistes ne sont pas des innovateurs, mais certains le sont plus que tous : l'art d'innover, l'innovation dans l'art #2)

Il fut une époque où la peinture pouvait provoquer un choc qui bouleverse des existences, où des débats de sociétés se cristallisaient autour de toiles peintes et des artistes devenaient les porte-flingues de la modernité en marche. Un temps où être humain était encore une question que la technologie ne pouvait résoudre. La vie se pouvait alors définir comme une collection d'instants et de mouvements comme autant d'échappées concrètes aux limites de la maîtrise et du désir.

 

 

J'ai rencontré la peinture de Joan Mitchell en 1982. J'avais 18 ans. C'était au musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, sis aile gauche du Palais de Tokyo. Je retrouvai alors une émotion qui s'était atténuée depuis les premiers Nicolas de Staël de mon adolescence. La peinture de Joan Mitchell fut de celles qui changèrent ma vie. Je stationnais longtemps dans la grande salle au mur courbe, celle qui délivre la grande peinture, qui immerge le visiteur dans une expérience totale et noie les croûtes, sans concession pour les faibles ou les tièdes. Mais comment peindre après cela ?

 

 

Joan Mitchell fut de l'aventure new-yorkaise de l'expressionnisme abstrait, jumeau transatlantique de l'abstraction lyrique. Une pionnière de "l'action painting", ainsi qu'on le disait alors. Femme dans un milieu d'artistes particulièrement machistes, de la génération de Cy Twombly et intime de de Kooning, membre d'un "gang" inspiré par la Black Mountain Review, elle exposa dès le début des 50's chez Castelli aux côtés de Kline, Guston, Motherwell, Pollock, Krasner et j'en passe. Elle fit le voyage de retour vers l'Europe, y vécut avec Riopelle et trouva en Jean Fournier un galeriste, un confident, un ami. Quand Sam Francis choisit le Japon comme terre première, Joan Mitchell préfère son jardin de Vétheuil près de Giverny. Imaginez l'après guerre, avec Max Ernst, Giacometti et Riopelle dans le même café à Saint Germain, et, dans le Greenwich Village, Elaine de Kooning remerciant la jeune Mitchell de servir des glaces à son mari pour qu'il évite de boire. Le tout dans une ère atomique, entre guerre chaude en Corée et guerre froide à Berlin, déferlement de frigos saturés de coca-cola et Mac Carthysme dégondé. Et le jazz. Plus exactement le be-bop, option hard bop. De Parker à Coltrane. Une percée. Sur la toile aussi.

Sous l'influence des artistes chassés d'Europe, en incubation durant les années 30, l'art abstrait américain triomphe dans la New York devenue ville-monde. Et une femme impose, sa présence, son langage, sa peinture. Une force. Elle ne théorise pas, elle peint. Le monde explose tout autour, les révolutions incendient partout, Joan Mitchell peint. Sa vie, ses émotions, ses sentiments. En grand. Il est curieux qu'elle ai réfuté toute filiation avec le Monet tardif, car et le mot est d'Elaine de Kooning, elle pratiqua comme un "impressionnisme abstrait". Elle peint ce que l'oeil ne voit pas. Elle donne à deviner le mouvement de la lumière et des corpuscules, les gestes de la nature en éveil, les inclinations de l'âme et les tourments du cœur. Ses contemporains décrivent une femme à l'humeur souvent exécrable, agressive et aux mots gros. Elle peint par à coups, la nuit, pour révéler le jour. Sa peinture demande à peindre le face à face sans remords, pour que nous, regardeurs hésitants, y entrions sans plus de reproche.

 

 

Alors oui, Marc Rothko. Oui, Jackson Pollock. Oui, Sam Francis. Oui, Cy Twombly. Oui, oui, oui. Mais Joan Mitchell est un grand peintre abstrait qui n'a jamais cherché à innover en déclarant une rupture de parade. Elle a voulu s'inscrire dans une tradition, après Cézanne et Van Gogh. Mais, au contact du gang de Greenwich Village, son approche de la surface à peindre l'a amenée là où aucune femme n'était allée auparavant. En prenant tous les risques sans jamais le dire. Une artiste de combat, debout et bord cadre, les brosses en bataille, les tranchées pigmentées pour annoncer une paix qui tarde. Et qui n'est peut-être jamais venue.

 

 

quelques vidéos sur youtube : par un amateur éclairé, portfolio au son de Miles Davis, https://www.youtube.com/watch?v=vXlWvWb_sdo

une conférence au Brooklin Museum  : https://www.youtube.com/watch?v=PnpR_vOA0YY

Un entretien avec Yves Michaud en 1984 : https://users.wfu.edu/~laugh/painting2/mitchell.pdf

Une monographie d'exposition : Sandro Parmiggiani, "La peinture des deux mondes", Skira 2009.

Tuesday 10.20.15
Posted by Renaud GAULTIER
 

Oxygene de Jean-Michel Jarre, l'art d'innover en rupture

Oxygène, 1974.

Oxygène, 1974.

(Tous les artistes ne sont pas des innovateurs, mais certains le sont plus que tous : l'art d'innover, l'innovation dans l'art #1)

Jean-Michel Jarre

Jean-Michel Jarre

A la vision de l'excellent documentaire de Birgit Herdlitschke sur Arte TV, il m'est apparu une nouvelle fois combien cet artiste avait su ouvrir une voie originale pour aujourd'hui s'inscrire dans l'histoire de la musique. Désormais préoccupé par sa place et son rôle  au sein de ce qu'il appelle sa "tribu", celle des compositeurs de musique électronique, Jean-Michel Jarre livre là plusieurs clés de cette innovation majeure.

Son histoire personnelle tout d'abord, marquée par le départ puis l'absence du père, Maurice Jarre, compositeur de musique de films parti s'exiler à Los Angeles et qui deviendra l'une des figures de Hollywood : on lui doit entre autres Lawrence d'Arabie et Docteur Jivago. Père indépassable, comment exister ? Nourri par l'énergie de sa mère, il va bénéficier d'une première éducation musicale "sauvage" en assistant enfant aux répétitions et aux bœufs du "Chat qui pêche", scène du jazz d'avant garde. Ecouter à 8 ans les débuts de Coltrane, Archie Shepp et Chet Baker lave les oreilles pour la vie. Après son passage au conservatoire de Paris, il rejoint le Groupe de Recherche Musicale sous la direction de Pierre Schaeffer, génie de la musique concrète. Rien de naturel à cela sauf pour le jeune Jarre, petit fils de l'inventeur des Teppaz. A cela vous ajoutez la fréquentation de la peinture des années 50 et vous reconstituez sommairement le creuset d'un esprit libre, curieux et inventif. Il lui restait à remplir un espace laissé vide par un père immense, cet espace si souvent associé depuis à sa musique, ces mégapoles du XXIème en devenir.

Ce que soulignent les artistes interrogés à son sujet, c'est effectivement ce que lui même caractérise par l'absence d'inhibitions, en dépit d'une culture immense : "avec Schaeffer, nous avons pu tout expérimenter, il n'y avait encore ni règle de composition ni style défini, juste une approche et des instruments. Il fallait défricher." Hans Zimmer, lui énonce simplement qu'avec les mêmes instruments, Jarre a créé une musique qui lui est propre et qui a rencontré le monde entier. Charlotte Rampling, sa femme, la première à qui il a fait écouter Oxygène, l'album par lequel tout a commencé, lui avait alors dit : "ce sera soit un succès énorme, soit rien". Explorer l'espace depuis sa chambre, frugalement.

Car plus encore que ses compositions, ce pionnier accomplit sa rupture dans la méthode : il est le premier, avec l'allemand Klaus Schulze, à avoir composé dans un home studio, en l'occurence sa cuisine. Fauché, deux synthétiseurs et un magnéto à bandes en tout et pour tout et il bricole au milieu des années 70s une musique qui a tout déclenché. Rappelons-nous qu'à l'époque les studios occupaient des immeubles, pour loger les consoles de 72 pistes et enregistrer les orchestres XXL, et qu'il fallait deux Jumbo jets pour transporter le matériel des concerts de Pink Floyd ou de Led Zeppelin. Jarre ne s'est pas arrêté là, il a commandé aux ingénieurs toutes sortes de dispositifs électroniques dont sa désormais fameuse harpe laser. Si, personnellement, sa musique ne me touche pas, je reconnais volontiers qu'elle constitue la bande son de la mondialisation, au même titre que les Beatles, Michael Jackson ou Madonna.

Dans le domaine des industries créatives, le cas de l'album Oxygène continue de hanter tout directeur de major  : toutes l'ont refusé. Pas de chanson, ni batterie ni guitares, des séquences fleuves, et qui plus est un artiste français, au royaume de la brit music triomphante calibrée top of the pops, personne ne pouvait alors signer un tel projet. Cela fit la fortune d'un petit label français : Dreyfus. Cette incapacité à détecter une révolution n'est pas donc pas le propre des industries traditionnelles. Cela illustre simplement que l'innovation doit conjuguer au moins deux aptitudes organisées : savoir décider et savoir maintenir une culture du nouveau.

Si l'on compare Jarre à l'autre grande figure archéo-électro, Kraftwerk, la différence est de taille : Kraftwerk vient du rock expérimental allemand quand le français est ancré dans une culture de la musique classique et du XXème siècle, augmentée des expérimentations de la musique concrète. Lui-même se sent plus proche d'Edgar Froese du groupe Tangerine Dream. Mais leur point commun réside dans le fait qu'il ne sont pas anglo-saxons. Ils ont donc du inventer pour exister face aux géants britanniques et aux folk-rockers traditionalistes américains. Dans les années 90s et 2000, deux groupes français ont réussi le même hold-up électro, version dance floor : Daft Punk et Air. Ces derniers devenant peu à peu les historiens témoins de la musique électronique, orfèvres du son et collectionneurs de machines. Leurs origines versaillaises, sans doute...

Enfin, Jarre a amené une autre rupture dans la diffusion de la musique populaire : le concert urbain géant. Préfigurant les raves et autres mobilisations de plus de 500 000 personnes, il sort la musique des salles de concert et des stades pour mettre en scène les villes avec des spectacles monumentaux. Il est ainsi le premier à avoir mis en scène Pékin, en 1981, avant de conquérir les USA avec Houston en 1986 pour la NASA ! Depuis, il en a fait un métier, s'éloignant de sa vocation première de compositeur.

Houston, 1986.

Houston, 1986.

Ce documentaire montre un éternel jeune homme, inquiet et débordant d'énergie, WunderKind mélancolique et hyperactif en voie d'apaisement. Peter Pan sincère et touchant, il a simplement osé et su saisir son époque comme personne, avec beaucoup de lucidité. Il a aujourd'hui décidé d'aller à la rencontre de tous les membres de "sa" tribu pour revenir à la musique et composer un nouvel album. Un grand monsieur de l'art populaire, vraiment.

https://www.youtube.com/watch?v=N93ju_saY7o&feature=youtu.be

 

Tuesday 09.22.15
Posted by Renaud GAULTIER
 

Formation, au pluriel ou au singulier ?

Séance de rentrée de la promotion EDHEC 2019.

Séance de rentrée de la promotion EDHEC 2019.

Pour des raisons affichées de recherche de taille critique mais en réalité strictement financières, les grandes écoles françaises de management se sont lancées dans une course au volume que rien ne semble arrêter.

L'équation est simple : les coûts en ressources humaines, 60% du budget, ne cessent d'augmenter en raison de la rareté d'enseignants-chercheurs publiant en sciences de gestion. A cela s'ajoute un coût du foncier et de l'immobilier qui ne cesse d'augmenter tandis que les subventions publiques diminuent. Résultat, pour équilibrer leurs comptes, ces établissements augmentent leurs frais de scolarité et leurs effectifs. Ainsi, plus de trente ans après mon intégration, je suis revenu à l'EDHEC pour co-animer, en compagnie de Catherine Champeyrol et de son équipe, un séminaire de rentrée de la promotion 2019 sur le thème de la coopération créative et nous avons dû composer avec la masse : en 1983, nous étions une petite centaine, en 2015 ils sont 737...

Il convient ici de saluer celles et ceux qui ont mis au point cette machine diplômante ô combien complexe. Diffuser un enseignement théorético-pratique homogène sur des promotions aussi nombreuses tout en maintenant le suivi personnel et la possibilité de choix de spécialisations multiples demande une organisation solide et un management cohérent sur la durée. Le secret de l'EDHEC réside sans doute dans la longévité de son dirigeant, Olivier Oger. 

Il n'en demeure pas moins que former de telles masses au management en environnement complexe et incertain relève de la gageure. Si l'on y ajoute un changement de paradigme managérial, où l'on privilégiera la coopération et l'innovation, cela devient problématique. Le recours aux Moocs et à l'usage de la classe inversée constitue la piste d'un mix éducatif qui va à l'encontre de nos habitudes empreintes de scolastique magistrale.

C'est la raison pour laquelle je fais partie de ceux qui militent pour la formation par le projet dans le projet, seule solution pour intégrer les connaissances en environnement réel. A ce sujet, l'EDHEC vit un tournant : longtemps réputée pour ses associations quasi professionnelles, si l'écart entre la formation académique et la pratique associative n'est plus tenable, cette spécificité est un gisement de pédagogies actives. Etablir un lien, le valoriser et l'exploiter pourrait relancer une machine qui risque de peiner à faire émerger les singularités dont la société et l'économie ont tant besoin.

Mais cela demande aux étudiants comme aux enseignants-chercheurs et aux cadres administratifs de changer de posture. Un chantier de transformation bien dans l'air du temps...


Monday 09.14.15
Posted by Renaud GAULTIER
 

Patrick Neu, quelles nouvelles de nos morts ?

Au palais de Tokyo, une exposition d'un maître des vanités post-mortem. Une aile d'ange en cire, une veste en ailes d'abeilles, des tableaux de Bosch reproduits sur du noir de fumée à même des verres, une armure de samouraï et une couronne d'épines en cristal : le temps nous fuit et nous voit quêter un fragment d'éternité dans des formes archétypales auquel Patrick Neu fait un sort noble et raffiné pour ne pas dire exquis. Des contrastes de matières, réemployées ou détournées de leur vocation première, viennent solliciter nos sens et nous toucher dans nos mémoires communes. Patrick Neu exhume, avec douceur et sollicitude, ces présences fantomatiques qui caractérisent ce qu'il était convenu d'appeler la "Kultur" ou la civilisation. 

La notice précise que l'auteur de ces choses sublimes est discret. Découvrir cette œuvre si bien exprimée installe un état suspendu, dans les limbes de nos cultures inquiètes. Un moment délicat, aux antipodes du quotidien. Nécessaire, donc.

Sunday 09.13.15
Posted by Renaud GAULTIER
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Genèse en tête, apocalypse en cours

Voilà ce que j'écrivais à mi-parcours d'une œuvre picturale au long cours. Achevée depuis, elle attend d'être montrée sous forme d'installation.

(archive)

Par Renaud Gaultier, vendredi 27 juillet 2007 à 15:09 :: la Genèse-en-tête :: #28 :: rss


"J’ai entrepris il y a 8 ans une œuvre picturale pas encore achevée à ce jour. Il s’agit de « la genèse-en-tête », sous-titrée « l’apocalypse en cours ». Elle se présente sous la forme d’une série de 72 panneaux carrés distincts de 1,20 m de côté, tous peints à l’huile sur bois. Peu de gens l’ont vue, mais ceux qui l’ont rencontrée ne sont pas restés indifférents, loin de là. Il m’est souvent demandé de décrire ou d’expliquer ce travail. Or pour moi, quand bien même je vais essayer d’ouvrir les quelques pistes de réflexion qui m’ont guidé jusqu’ici, tout ceci reste très mystérieux.

 

La genèse en-tête explore en effet simultanément plusieurs questions qui me tiennent à cœur. Par exemple : pourquoi créer et ajouter au monde quelque chose dont on suppose qu’il ne s’y trouverait pas déjà ? Qui crée, qui peint ? D’où vient le geste, l’image ? A ces questions je ne sais toujours pas répondre, mais voici ce que déjà je sais de ce travail.

La genèse en tête est une apocalypse en cours.

Un dévoilement, en fait. J’ai commencé de la peindre en 1999, à partir d’intuitions qui me travaillaient depuis 1992. C’est avant tout un parcours dans l’inconnu. La seule chose que je savais au commencement, c’est la règle que je me suis fixée au départ : peindre des huiles sur bois de 1,2mx1,20, pour former une collection de 72 panneaux carrés. Il est évident que ces panneaux ne seront jamais vus tous ensemble ou simultanément, et cela me plait.

Il ne s’agit pas d’un récit de la création au sens narration, mais plutôt de l’expression d’un monde en création qui se dévoile peu à peu à notre vison et notre entendement. Le point de départ est donc aveugle. Seule l’énergie est là, sensible.

La création est un sujet pour mystiques, scientifiques ou spécialistes de la psyché. J’ai voulu passer de l‘autre côté de ces miroirs pour tenter de découvrir ce que j’en savais, moi, de cette œuvre-là, avec pour seuls moyens, quelques couleurs, des supports et du temps. Beaucoup de temps.

J’ai décidé de commencer à mains nues. Comme les premiers hommes.

Aujourd’hui, 40 « genèses » plus tard, j’ai repris les brosses et les couteaux.

Bien des fois, je me suis présenté à l’atelier avec une idée. Je ne l’ai jamais réalisée.

Oui, cette œuvre m’échappe. Et c’est pour cela que je la peins. Cela m’oblige à me dépouiller de mon ego, et je recherche cette nudité. Je ne l’ai évidemment pas trouvée.

Quelquefois, certaines personnes ont ressenti des émotions violentes devant ces peintures, et même de la peur parfois. Peindre, c’est d’abord accepter ce qui vient, c’est aussi exorciser.

Au début, j’ai peint à même le bois, sans apprêt. L’embuage qui en résulte a assourdi les couleurs, donnant parfois des tonalités voilées. Maintenant je travaille sur des fonds blancs. Les harmoniques changent, les couleurs éclatent, même les plus sombres, c’est un long cheminement du regard vers la clarté. Vers une lucidité ?"

 

Renaud Pascal Gaultier, Juillet 2007.

Friday 09.04.15
Posted by Renaud GAULTIER
 
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