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Renaud P. Gaultier

Peintures, Installations et Textes

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Bonnard et Hockney, perspectives intimes.

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Bonnard et Hockney, bien que séparés par un demi-siècle, ont apparemment une vocation commune : peindre l'intime, au plus près de l'être aimé, décrire la vie quotidienne et la sublimer en scènes d'intérieur savamment travaillées. Relier cette préoccupation à l'espace du paysage, jusqu'à l'immensité, et se joindre à l'époque, sans craindre de mettre à distance les modes ou le scandale. Parallèles subjectives, évidemment.

La science de ces peintres s'exprime en premier lieu dans un soin constant apporté à la composition et à la couleur. Ils savent créer un espace, le dilater par la construction et un parti pris souvent audacieux. Ils le peuvent car ils se situent dans l'histoire de la peinture, qu'ils reprennent à leur compte, comme un patrimoine sauvegardé des avant-gardes passagères. Trajectoires singulières, là où le français Bonnard enjambe le passage du XIXème au XXème, le britannique Hockney traverse le pop art sans s'y abandonner. Certains les rangent comme étant tout deux bourgeois ou passéistes, car ils dénudent les corps, étalent le bonheur de vivre au soleil, en lisière d'une nature domptée et délicieusement récréative. Certes. Et alors ?

Bonnard partage ses interrogations et ses recherches avec Denis, Bernard, Gauguin, Sérusier, Monet, Signac, Vallotton ou Matisse mais préfère son ami Vuillard. Le nabi généreux est totalement investi dans l'effervescence littéraire et musicale du moment, illustre et peint pour Ravel ou Jarry, participe à la création de la Revue Blanche, se fait affichiste et croise Toulouse-Lautrec, mais, s'il s'inspire des tourbillons de la ville, ne cède pas à l'aspiration mondaine d'un Paris ou d'un New York qui vite le choie et le révère. Il aime Marthe, qui devient son monde, un centre mobile et changeant, qui illumine des toiles de vibrations infinies et veloutées. Peintre de mémoire, observateur infatigable qui toujours note et retient pour inventer ensuite, recomposer cette réminiscence et la parer de lumière. L'espace intérieur s'ouvre sur une fenêtre, une porte ou une terrasse et s'y prolonge, car le soi est à la maison, ou ne parcourt la nature que pour y revenir, chargé de visions pigmentées. Bonnard est un virtuose, lie les droites et les courbes, et là où Matisse propose des surfaces, par ses touches multicolores il donne une vie charnelle à la géométrie plane et fait du corps de Marthe une synthèse de lignes polarisées, irisées et vibrantes. Aragon, jamais en peine d'un commentaire acerbe ou d'une erreur de jugement historique, déclare au début des années 30 la peinture périmée, juste une "activité pour jeunes filles et vieux provinciaux". Bonnard réplique par une série de chefs d'œuvres peints au Cannet, présentées en 1933 chez Bernheim-Jeune. Alors, était-ce le chant du cygne pictural de celui qui reste convaincu que "la couleur agit",  en attendant les disparitions de Matisse son égal, de Vuillard son ami et de lui-même en 1947 ? Inquiétude qui sourd lors de la rétrospective qui suit sa disparition, car les tragiques années qui ruinent l'idée même de civilisation au mitan du siècle pourraient avoir raison de cette activité surannée et si désespérément anecdotique.

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Or à sa façon, naturaliste parfois et réaliste jamais, Hockney relève le gant du "boxeur" Bonnard. Il emprunte à Picasso ses perspectives multiples et concomitantes, son tracé simple et tonique et le proclame. Il décompose le paysage en mosaïques et reprend les travaux de Braque sans le dire, usant de photographies et les juxtaposant, comme pour revenir au début, avant le quattrocento, quand on ne creusait pas encore sa conscience du monde depuis un seul point. Il dessine, énormément. Des portraits et des natures mortes, avec application. Des scènes intimes et des piscines. L'onde le fascine. La découpe des constructions modernes, cubiques, les volutes des routes qui sinuent dans une campagne de collines et de bocages, patchworks aux couleurs franches reviennent dans ses compositions, leitmotiv du Yorkshire transposé sous les lumières de Los Angeles version Hollywood Hills. Il est d'usage de penser que Pierre Bonnard succède au sensuel Renoir et à tout le valeureux collège des impressionnistes, comme il est habituel de considérer Hockney comme un pop artiste exubérant depuis son exil américain. C'est peut-être un peu réducteur et ne pas faire grand cas de leur singularité que de s'en tenir là.

Quand Bonnard dessine, grave et édite chez l'imprimeur frontispices, affiches et livrets, Hockney use de la photocopieuse. Rien de ce qui est moderne ne leur est étranger, ils choisissent leurs techniques, en jouent, explorent et s'en libèrent. Mine de plomb, aquarelle, gouache, huile, acrylique, à la volée en voyage ou de mémoire à l'atelier, tous deux vont à la rencontre du monde, prennent des notes, photographient. Pour Bonnard, le nouveau monde des années 30 s'ouvre à lui à New York la verticale, Hockney ira chercher les immensités de la Californie, de la mégapole-paysage. Bonnard peint les décors du théâtre d'Ibsen ou de Strindberg, Hockney crée les décors et costumes pour le Met Opera de NY, Satie, Poulenc, Ravel. Toujours ce tournant de début de siècle, la vraie rupture. Peindre l'illusion, la boîte dans la boîte du théâtre à l'italienne. Alors, des rideaux et des personnages, beaucoup, des salons et des tables couvertes de fruits ou d'ustensiles. Et toujours des fenêtres ouvertes sur une campagne en gradins, comme depuis une loge qui donne sur la scène du monde mouvant. L'ombre n'est pas là le signe d'un relief, mais d'une variation de lumière, les figures peuvent s'aplatir jusqu'au symbole. Chercher la couleur là où elle explose, au Sud, côte d'Azur, haute Provence, Italie, Espagne et leurs équivalents américains, Californie, Arizona. Mais là où Bonnard est souvent sérieux, Hockney se montre plus fantasque et jouisseur, rapide finisseur et parfois facile quand le français est laborieux, jusqu'à venir retoucher ses toiles exposées au musée. L'emploi de la chambre claire traduit, avec son ouvrage sur les "savoirs secrets", une réelle volonté de Hockney de reprendre des techniques du XVème siècle, dont il est convaincu, un siècle après Ingres, qu'elles sont toujours d'actualité. Hier la photo, aujourd'hui l'l-Pad.

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L'amour et l'amitié, encore. Même si Marthe, sujet omniprésent, fausse "indolente" tant elle est douloureuse, gênée par l'entourage d'intellectuels et de rapins illustres, aurait dit-on retenu Pierre dans la clôture de ses ateliers, Bonnard est sociable, correspondant insatiable, très famille aussi. Hockney aime et doute, connait le chagrin amoureux et doute encore. Alors il voyage, et dessine de fabuleux portraits qu'il met souvent en couleur. Des inconnus, des amis, sa famille. De face, les yeux dans les yeux, sans hésiter. Une force, une affirmation éclatante comme pour conjurer la peur de perdre. Le scandale aurait pu dominer leur biographie : la concubine de Pierre épousée sur le tard pour prouver plus encore l'attachement, les amants successifs de David. Mais non, l'époque les a épargné, aux frivolités bohèmes du début de siècle latin ont succédé les libertés des sixties anglo-saxonnes.

Le trait et la matière : Bonnard peint les corpuscules en suspension, cerne avec rondeur et multiplie les sujets en bordure quand Hockney incise son dessin, centre sans hésitation et juxtapose de large surfaces, en volutes et en à-plats vigoureux, presque schématiques. Hockney s'impose quand Bonnard vous invite.

Ni Bonnard ni Hockney n'ont prétendu innover en peinture ou se poser en théoriciens, mais ils se sont délibérément placés en héritiers conscients. Tous deux ont cherché, retrouvant parfois les découvertes de leurs maîtres, et ce depuis leur expérience vécue et elle seule. Ainsi, compléter sa vision par le tableau d'un miroir et de son reflet pour l'un, s'essayer au cubisme et à la perspective inversée pour l'autre, pour cheminer et tracer sa voie. Ici commence l'exploration de l'intime, là s'ouvre des perspectives multiples et oui, peindre donne à connaître et va parfois jusqu'à transformer le monde.

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Illustrations

Pierre Bonnard (1867-1947) : Nu à contre-jour (1908); Le Jardin (1936-38); La Grande Baignoire (1937-1039); La Loge (1908); Le boxeur (1931); ; L'Homme et la Femme (1900); Femme nue à mi-corps se regardant dans une glace (1916); L'effet de glace (1909); Salle à manger à la campagne (1913); L'Indolente (1899).

David Hockney (1937- ) : Domestic scene (1963); Nichols Canyon (1980); Pool with two figures (1971); Mr and Mrs Clark Percy(1971); A Bigger Splash (1967); The chair (1985); Peter getting out of Nick's pool (1966); Shirley Goldfarb & Gregory Mausrovsky (1974); Mum (1990); Perspective should be reversed (2004); A closer Grand Canyon (1998); Self portrait with Charlie (2005).

Sources

Françoise Cloarec (2016), "L'indolente, le mystère Marthe Bonnard", Stock

Jack Hazan (1974), "A Bigger Splash", film docu-fiction avec David Hockney et Peter Schlesinger, Buzzy Enterprises Circle Ltd.

David Hockney (2004), Images, Thames & Hudson.  http://www.hockneypictures.com/home.php

Antoine Terrasse (1999), Bonnard "la couleur agit", Gallimard; (1964), Bonnard, Skira; (1967, 1988), Gallimard

Bruno Ulmer (2015), Bonnard, les couleurs de l'intime, documentaire, Musée d'Orsay (https://www.youtube.com/watch?v=N33LaU9-Rio)

Peindre l'Arcadie, Musée d'Orsay : http://www.musee-orsay.fr/fr/evenements/expositions/au-musee-dorsay/presentation-generale/article/pierre-bonnard-41180.html?tx_ttnews%5BbackPid%5D=254&cHash=3bf97287be

 

 

Thursday 12.29.16
Posted by Renaud GAULTIER
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